“Le plus petit appartement de Paris” d’Héléna Villovitch
Seize mètres cube à elle toute seule ! L’heureuse Carla vient de se voir attribuer un espace de vie pour célibataire. François aussi est tout content à l’idée de poser sa valise à roulettes dans une studette. Petit problème : il s’agit du même appartement. Une fable sur, autour et dans le logement.
“J’ai trente ans et seize mètres cubes pour moi toute seule. C’est comme un rêve qui devient réalité.” Dans ce monde à peine futuriste, mais assez proche du nôtre (seules quelques absurdités semblent s’être exacerbées : les gens à la rue se sont tout bonnement multipliés et banalisés, et on parle à des boîtes automatiques ou à des ascenseurs avec naturel, quand ils fonctionnent bien sûr), Carla est résolument ravie et prête pour un nouveau départ. Pour la première fois de sa vie, elle a son appartement. Son chez elle. L’endroit qu’elle fantasme comme celui qu’elle pourra façonner à son image. Celui où elle pourra “projeter des désirs profonds” et “inviter ses vraies amies”.
François est lui aussi content d’avoir son appartement. Le seul problème, c’est qu’il s’agit du même. Une erreur de la machine ? Quoi qu’il en soit, dans l’appartement 888, tous deux se retrouvent à cohabiter.
Dans ce court métrage de la Collection de Canal+ qui proposait d’explorer “la trentaine vue par les écrivains”, Hélèna Villovitch prolonge en images son recueil de nouvelles L’immobilier, paru aux éditions Verticales et qui explorait, à travers les thématiques du logement, les questionnements de toute une génération.
Ici les trentenaires, brillamment incarnés par Laetitia Dosch et Thomas Scimeca, sont ceux auxquels on peut facilement s’identifier. Pas complètement losers, mais pas franchement winners non plus, ou peut-être un peu malgré eux. Sans ambition démesurée, mais avec des rêves atteignables et légitimes, largement partagés par tout un chacun. Pas grandioses, ni héroïques mais se confrontant à ce qui leur arrive en restant positifs, simples. Et drôles ! On se réjouit de les voir subir les situations les plus absurdes sans les dramatiser, ni se “prendre la tête”. Ils se plient comme tout le monde autour d’eux à toutes les incongruités et font avec, tout bonnement humains.
Le décor pourtant a priori aberrant pour le cinéma – seize mètres cubes, réellement ! – crée finalement une contrainte burlesque autant qu’il nourrit la recherche visuelle et la mise en scène. Et on en vient à trouver sa place dans cette fable douce et tranquillement déjantée. L’appartement se révèle juste assez étriqué pour permettre au spectateur de voir comment les corps occupent l’espace, s’entrechoquent, tour à tour s’imposent et s’effacent, s’attirent ou se repoussent.
Chacun est à la fois dans son territoire et sur le territoire de l’autre, dans son intimité mais complètement exposé, dans un cloisonnement à mi-chemin entre la cage et le cocon. Un reflet du monde et de notre société dans un si petit lieu partagé.
Marie-Anne Campos
France, 2014, 15 minutes.
Réalisation et scénario : Hélèna Villovitch. Image : Javier Ruiz Gòmez. Montage : Carole Le Page. Son : Olivier Touche et Martial de Roffignac. Musique originale : Gérald Kurdian. Interprétation : Laetitia Dosch et Thomas Scimeca. Production : Ecce Films.