Cahier critique 17/02/2021

“Le petit café” de François Reichenbach

L’activité d’un petit café de province dans la ville de Béthune dans le département du Pas-de-Calais. Il y a les habitués qui jouent aux cartes, les clients de passage qui consomment au comptoir, les amoureux qui s’y donnent rendez-vous. C’est la vie telle qu’elle est.

On ne se souvient pas bien, ou trop peu, de François Reichenbach (1921-1993). Sondez. Demandez. Qui était-il ? Brefcinema vous répond par la mise en ligne de quelques-uns de ses films, notamment La douceur du village (1963) et, à partir de ce jour, Le petit café (1962). 

Reichenbach a beaucoup officié dans la forme courte. Âme sœur et alter ego de Chris Marker, avec qui il a travaillé, Reichenbach a signé un nombre considérable de documentaires de dix à vingt minutes. Des courts métrages comme cela se faisait au temps du Sabotier du Val de Loire de Jacques Demy. Un temps où cela était un genre noble. Reichenbach est également l’auteur de quelques longs métrages dont la postérité a surtout retenu son Amérique insolite (1960), un film sélectionné en 1960 au Festival de Cannes, une œuvre impressionniste dans laquelle le spectateur est convié à errer à travers un pays/paysage à la fois proche et immensément lointain. 

Réalisé juste après L’Amérique insoliteLe petit café (Prix du court métrage au Festival de Venise) se déroule en France. C’est un film modeste, tant par sa durée (une dizaine de minutes) que par son absence de dialogue, par son noir et blanc qui ressemble à une addition/récupération de bouts de pellicule que par son montage hiératique ou encore par sa bande-son à la fois synchrone et désynchronisée. C’est peut-être là tout l’art de Reichenbach, cinéaste anthropologue, de proposer des films sans prétention, sans additif. Il y a chez lui comme un amour du quotidien, de la banalité, de ces choses qui se répètent. 

Cette attirance pour le réel, elle-même doublée d’un refus de la rhétorique ou plutôt du théorique (qu’il soit politique et/ou émotionnel), s’expriment à la même époque, dans les années 1950-60, autrement, chez des romanciers américains de la nouvelle objectivité ainsi que chez des cinéastes précurseurs de la Nouvelle Vague, tel que Rohmer dans Le signe du lion (1962). Le petit café est donc à cet endroit de l’histoire. Et le café est cet endroit où l’on ne peut déjà plus aller, non pas à cause du confinement ou par la faute d’Emmanuel Macron, mais parce que, passé au tamis du cinéma, les hommes et les femmes de ce lieu éblouissant de lumière ont été comme transformés, sublimés par le cinéma, art du temps, de l’image, du son et de la musique. 

Sans aucun cynisme, Reichenbach a capté et saisi quelque chose ici même dans ce lieu public où l’on travaille et l’on se repose, où la vie se fait et se défait. Une francité typique et fragmentée de carte postale. Ceux qui connaissent un peu les films de Reichenbach savent combien parfois la voix off qui les accompagne a malgré tout quelque peu vieilli (oui, nous ne parlons plus de la même manière). Film sans voix, Le petit café, lui, n’a pas pris une ride. À la manière du Renoir peintre, ce petit café, matrice prosaïque, imprime une scène de vie, et respire un peu de son air du temps pour l’éternité. 

Donald James 

Réalisation : François Reichenbach. Image : Jean-Marc Ripert. Montage : Guy Gilles et Jacqueline Lecompte. Production : Les Films de la Pléiade.