Cahier critique 02/07/2018

"Le naufragé" de Guillaume Brac

Parfois on pense fuir l’autre, mais on se fuit soi-même.

Luc, cycliste amateur parisien, se voit victime d’une énième crevaison alors qu’il traverse une Picardie brumeuse. Sylvain, jeune homme du coin, s’arrête à ce moment-là. Il veut l’aider et lui offre des gâteaux pour la première fois.

Le temps d’un prologue, Guillaume Brac semble mettre en place un duo matrice de nombreuses comédies : la brute et le naïf. Mais le dispositif est trompeur car le réalisateur oriente rapidement son récit et ses personnages vers un réalisme froid et cinglant. Il mélange les genres et les pistes en plaçant son duo de comédie avortée dans une situation dramatique qui frôle même une certaine étrangeté fantastique – un échange d’identité momentané y est décliné dans plusieurs scènes – avec des moyens de narration et de mise en scène parfois proches du documentaire. Ainsi, si la séquence du bar – jouée par les habitués du lieu – suffit à matérialiser de façon cruelle le statut de loser local de Sylvain, et celle de la boulangerie apporte de son côté un clin d’œil humoristique à un moment où le film peut basculer dans les névroses de ses personnages, le réalisateur ne quitte pour autant jamais les rives du réalisme.

La lumière bleutée de l’automne, les plates étendues picardes et les rues des villages qui se vident entre chien et loup sont autant d’éléments naturels dont Brac fait son miel. Cette sensation oppressante de vide passe du décor aux personnages dans un glissement subtil : le cycliste au cœur sec et à l’estomac vide d’un côté, le poissard sympathique qui a perdu sa copine, une partie de ses cheveux et son permis de conduire, de l’autre.

La mise en scène tient en un élégant et troublant équilibre rythmé de longs plans entrecoupés d’ellipses, choix qui permet aux deux comédiens principaux d’avoir du temps et des espaces pour faire exister leurs personnages sans sombrer dans la caricature. Vincent Macaigne – dans le rôle de Sylvain – est d’un naturel et d’une justesse bouleversants. Et l’ambiguïté du personnage de Luc sera maintenue jusqu’à la dernière séquence où l’on ne sait plus si les pleurs de ce naufragé moderne sont le fruit d’une réelle prise de conscience ou le talent d’un cynique manipulateur.

Fabrice Marquat

Article paru dans Bref n°95, p.31, 2010

Réalisation et scénario : Guillaume Brac. Image : Claudine Natkin. Montage : Damien Maestraggi. Musique : Emmanuel Bonnat. Son : Emmanuel Bonnat et Vincent Verdoux. Interprétation : Julien Lucas, Vincent Macaigne et Adelaïde Leroux. Production : Année Zéro.