“Le meilleur ami de l’homme” de Vincent Mariette
Peut-être un beau jour voudras-tu / Retrouver avec moi / Les paradis perdus.
L’exercice est imposé. Mais disons-le d’emblée il n’y paraît rien. Tout droit sorti de la Fémis (département scénario, promotion 2009), Vincent Mariette propose son script à la “Collection”, la série de courts métrages que Canal + initie alors chaque année. Il s’agit d’une commande à contraintes, car il faut à la fois écrire pour un acteur (Mariette choisit Jules-Édouard Moustic, le présentateur de Groland, l’émission de la chaîne cryptée dont l’humour ressemble à du Deschien punk) et de réaliser un film qui a partie liée avec la crise (puisqu’en 2010, “la collection pique sa crise”). Le timing télévisuel (dix minutes) est également dicté. Le résultat dépasse toutes les espérances. Avec Le meilleur ami de l’homme, de contrepieds en contretemps, en diluant le thème triste et social de la crise dans un bain de jouvence, mieux de renaissance, Mariette signe l’un de ses meilleurs films. C’est beau comme une comédie du remariage. L’histoire commence d’ailleurs comme un divorce. Un rottweiler sympathique, végétarien, peut-être gay, refuse de se plier aux ordres. Attaquer, très peu pour lui. Son propriétaire, maître-chien de profession, reçoit l’ordre de s’en séparer. Mais, à l’image de son meilleur ami, ce dernier refuse d’obéir aux injonctions débiles de son supérieur (ce qui lui vaut un licenciement) et opte de vivre une vie nouvelle tout d’abord de voyeur flâneur (il regarde avec des yeux doux, des yeux de bon chien, la gérante du bar de la gare – Noémie Lvovsky), et ensuite une vie de noceur puisque, in fine, est envisagée une vie meilleure aux côtés de cette nouvelle amie et cela sans sacrifier son fidèle animal.
Filmé à hauteur de chien, Le meilleur ami de l’homme épouse avec minutie le quotidien de ses personnages, de son couple hétéroclite formé par Jules-Édouard Moustic (laconique et profil bas, à contre-emploi donc) et de son chien muet de bout en bout. L’uniforme sied à Moustic comme un gant, tandis que le canidé semble issu d’une meute qu’on ne peut que craindre. En très peu de plans Mariette inscrit sa fiction dans un réel très banal tout en forçant ici ou là le trait. L’air de rien, ce réel se dissout peu à peu dans un théâtre où d’abord la dérision, puis la mélancolie (la gare de Rouen agissant comme terreau métaphorique d’une vie à la croisée des chemins) et ensuite la tendresse (urbaine et maternelle) l’emportent. La dérision semble être inscrite à même le corps du film. Voir les noms des personnages à propos desquels il y aurait beaucoup à dire (lui s’appelle Boulanger, son chien Œdipe). Dans les situations, dans les dialogues, Mariette s’affirme comme un cinéaste du décalage. Décalage avec ses couleurs tranchées, poussées, saturées qui donnent aux objets un caractère définitivement “pop” (cf. le téléphone rouge) ; décalage avec ses décors aux géométries répétitives (fonds peuplés de cartons identiques, de rangées d’étagères), décors dont on ne comprend pas, au départ, s’ils sont ceux d’une gare ou bien ceux d’un entrepôt d’usine ou de de supermarché, et décalage enfin avec ses mouvements de caméra, rares mais vifs, des panneaux latéraux ou verticaux qui évoquent moins le cinéma dans sa grande forme que les libertés prises par les cartoonistes. Pas de doute, nous sommes en 2010 : il n’y a plus d’ordre à suivre ni à recevoir même et surtout quand on sort de la Fémis. Mariette s’amuse, théâtralise, bouscule les géométries planes (tels ces aplats de rayonnages de magasins tristes que nous avons vu des milliers des fois dans les films de société français sur la crise). “Les paradis perdus” de Christophe, que l’on écoute de bout en bout, torpille ce “pulp cinéma” d’une aura mélancolique. Non, on ne peut pas se moquer de tout ; non, tout ne relève pas de la banalité : l’amour arrive, l’amour incarné par une figure symbolique chaleureuse et maternelle existe. Il s’agit ici autant d’un remariage que d’un coming out où l’homme solitaire découvre LA femme qui va l’accepter, lui et son animalité bohème refoulée et vieillissante.
Donald James
Réalisation et scénario : Vincent Mariette. Image : Julien Poupard. Montage : Frédéric Baillehaiche. Son : Gautier Isern, Francis Bernard et François Groult. Interprétation : Jules-Édouard Moustic, Noémie Lvovsky, Christophe Vandevelde et Nicolas Maury. Production : Les Films du Worso.