“Le marin masqué” de Sophie Letourneur
Laetitia et Sophie partent en week-end en Bretagne, dans la ville natale de Laetitia, Quimper. Au fil de leur séjour rythmé par les crêpes, les ballades sur la plage et les sorties nocturnes à la Chaumière réapparaît la figure du Marin masqué, amour de jeunesse de Laetitia.
Oui, c'est encore une histoire de copines, une histoire écrite, avec certainement une part de vérité, peut-être une part un peu fantasmée, encore des dialogues étonnants de sincérité, de vide ou de cruauté, qui sonnent parfaitement authentiques, presque improvsiés. Oui, c'est encore une histoire de couples faits ou défaits, de passions, de déceptions, de la manière d'en parler, de s'en emparer. Et oui ! Sophie Letourneur arrive encore à nous faire sourire, à nous happer, et à nous surprendre.
Ne serait-ce que par le dispositif. Contrairement à ses précédents films, la réalisatrice opte dans, Le marin masqué, pour une image, un cadre, et une bande-son suggérant autant que possible l'éloignement de la réalité. Le choix des voix, en off et avec un dialogue rejoué, étonne parce qu'il semble accentuer le décalage entre la sensation de proximité d'un papotage dans l'intimité, et celle de la distanciation inhérente à la narration. Quant aux images, d'un noir et blanc HD à l'éclairage très travaillé, elles sont marquées d'une patine, leurs contours sont flous, presque estompés, et la quasi-absence de mouvement de caméra semble vouloir fixer ce qui déjà n'est plus qu'un souvenir.
Car il s'agit bien avant tout d'une histoire comme on aime se les raconter : une virée à deux copines, la trentaine, parties en week-end pour se changer les idées. Une tranche de vie commune à Sophie et Laëtitia – la réalisatrice et son assistante – qu'on devine assez complices et proches, la franchise rugueuse et la pensée occupée par des théories variées sur le couple. Une histoire où chacune peut retrouver ce qui lui semble essentiel (la sensation d'avoir évolué ?) et l'agrémenter d'une foule des détails (“tu as déjà ton pantalon léopard”, “J'adore Aznavour...”).
Et de ce souvenir, tellement intime qu'il est de ceux auxquels chacun peut s'identifier, à peine raconté qu'on peut déjà presque l'oublier, il reste essentiellement l'impression d'un “truc qui s'est passé”, d'une sorte de moment clé qui nous aurait touché, déstabilisé, construit. Reste aussi ce surnom de “marin masqué”, un mystère, un petit bout de jardin secret, emblème du plaisir et de la capacité que l'on peut avoir à tout mettre en fiction, et surtout, après coup, à tout dédramatiser.
Marie-Anne Campos
Article paru dans Bref n°98, 2011.
Réalisation et scénario : Sophie Letourneur. Image : Ludivine Renard. Montage : Carole Le Page. Son : Carole Verner. Musique originale : Bettina Kee et Emiliano Turi. Interprétation : Laëtitia Goffi, Sophie Letourneur et Johan Libéreau. Production : Ecce Films.