Cahier critique 02/01/2019

"Le jardin de minuit" de Benoît Chieux

Après les douze coups de minuit…

Figure clé du cinéma animé français, Benoît Chieux livre avec Le jardin de minuit une nouvelle pépite. Une excellence dans l’alchimie entre fond et forme, qui lui a valu une seconde nomination au César du meilleur court métrage d’animation en février 2018, deux ans après la première pour Tigres à la queue leu leu. Une même fluidité dans le récit. Un même glissement vers la poésie. Une même exploration de l’imaginaire. Avec une inventivité rare, précise, méticuleuse, le cinéaste réinvente des mythes et crée sa propre vision. L’Éden légendaire croise Le jardin des délices de Jérôme Bosch et La planète sauvage de René Laloux. Le couple amoureux au centre de l’intrigue défie les lois de la rationalité, mais se confronte à celles de la pesanteur. De minuscules créatures voudraient les faire tomber, et des chutes de pierre venues du ciel, les écraser. Heureusement, un gros matou doté d’un anneau magique veille au grain. 

Comme dans Patate et le jardin potager et Tigres à la queue leu leu, Chieux filme des êtres qui sortent de leur périmètre de sécurité, pour viser l’inconnu. Rien de mieux que le dépassement des limites pour y engouffrer la fiction. Le danger plane. Mais le bon sens et les bonnes étoiles sont là. L’aventure s’ouvre en effet sur un ciel multi-étoilé, derrière des collines jonchées de poteaux électriques. Les lignes abondent. Horizontales, comme les bandes de ciel bleu ou rose. Verticales, comme les arbres de la forêt protectrice. Courbes, comme les sommets vallonnés et les câbles à haute tension. Accidentées, comme les rochers disparates et les reliefs du jardin nocturne. Au cœur de cette folle toile géométrique, la survie. Continuer à respirer. Et à rêver. Individuellement et côte à côte. Car l’innocence est le nerf de l’histoire. Celle du duo originel qui, au gré de sa fantaisie, côtoie les précipices.

Le jeu des transparences happe le regard du spectateur et crée un volume subtil dans cette animation en 2D. Les personnages semblent glisser dans les décors végétaux et minéraux. Tout est affaire de légèreté, jusqu’aux bulles salvatrices qui libèrent de la menace. Benoît Chieux excelle à composer des intrigues simples et limpides, pour mieux bâtir autour son univers riche et coloré. Il reste un éternel rêveur, qui injecte sa créativité dans son kaléidoscope, et invite dans un dédale au charme dingue. Un envoûtement né aussi des variations sonores qui caressent l’oreille, de nuances cristallines en suites ludiques. Les dix minutes écoulées, on semble véritablement avoir rêvé, décollé du quotidien. Il fait bon aller voir du côté des mondes parallèles. Le réel est âpre et le salut de l’âme peut se régénérer dans l’art. Grand bien nous en fasse.
 

Olivier Pélisson

Réalisation, scénario, création graphique, storyboard et décors : Benoît Chieux. Animation : Titouan Bordeau, Jean-Charles Mbotti Malolo et Laurent Moing. Son : Pierre Sauze. Musique : Valentin Portron et Marceau Portron. Production : Sacrebleu Productions.