“Le futur sera chauve” de Paul Cabon
Le rire au poil.
Rien de tel que la savoureuse monotonie d'un repas familial pour qu’une imagination fertile vagabonde. Si dans Le repas dominical (2015),Céline Devaux explorait les crispations intempestives de la cellule parentale, Paul Cabon s'interroge sur d'autres types d'imperfections : l'absence irrévocable de chevelure de ses parents proches, annonciatrice de sa propre dégénérescence génétique. Ces pensées loufoques, assorties d'une animation aux traits farfelus, sont menées tambour battant.
La narration suit le monologue résigné d'un adolescent au visage étrangement bleuté, sur le point de perdre tout espoir. Dans un ton résolument absurde, Cabon capte les travers inconscients de la société (en s'appuyant habilement sur les concepts de vide/plein), concernant nos visions péjoratives des calvities. Le monde de la pop culture est également gangréné par une représentation peu glorieuse de ces êtres meurtris. Selon la voix off du narrateur, les vilains dans les films sont régulièrement dégarnis (on entrevoit le Golum du Seigneur des anneaux ou l’Ernst Stavro de la saga James Bond). Paul Cabon mettait déjà lui-même en scène des hommes chauves, tel ce personnage pressé de rejoindre sa nature primitive dans Sauvage (2009) ou cette figure maléfique du tumultueux et protéiforme Tempête sur anorak (2014), comme une volonté obsessionnelle d'examiner ces figures.
Le point judicieux de l'entreprise est de faire d'une futilité un grand “mal” avec une tonalité déconcertante. Même si cette angoisse capillaire est gentiment tournée en dérision et tendrement dédramatisée, elle dissimule aussi une intention d'une fine mélancolie. La perte de cheveux s'assimile à l'arrivée tonitruante dans le monde des adultes et ainsi au déclin d'une enfance passée à toute allure. Le réalisateur imagine alors un simulacre de quotidien insolite avec des cheveux longs et soyeux. Le récit de cette vie de rêve lorgne vers le fantasme rocambolesque. Le fil de la pensée, derrière un crâne condamné à se clairsemer, opte pour un graphisme simple et aéré. L’œuvre prolonge ainsi ses thèmes de crânes chauves à son esthétisme aussi dépouillés qu'un visage glabre. Le dynamisme de ces dessins numériques à la palette bleuâtre donne libre cours à une créativité débridée, vivace et délurée.
Les films de Cabon s'autorisent quelques envolées expressionnistes dans une exultation des genres réjouissante. Là où Tempête sur anorak entrelace science, surnaturel et espionnage, Le futur sera chauve injecte un brin de fantaisie dans la chronique familiale. On pense à ces images surréalistes de têtes décapitées des oncles en brochette ou ce crâne qui avale tout, tel un trou noir. Dans un dernier geste rebelle et paradoxalement optimiste, Paul Cabon arrive à joindre drôlerie et émotion solaire.
William Le Personnic
Scénario, réalisation et animation : Paul Cabon . Son : Kevin Feildel, Yann Legay et Bertrand Boudaud. Production : Wag Prod.