Cahier critique 25/03/2020

« Le chant d’Ahmed » de Foued Mansour

Une complicité naissante dans les bains-douches d’Oberkampf...

Ahmed mène une vie ordonnée, répétitive, qui ne déroge jamais aux règles qui lui sont imposées. Au travail comme au foyer de migrants qui l’accueille, il exécute ses gestes en silence, muré dans sa solitude. Aux bains publics, Ahmed est celui qui adoucit le sentiment de honte, celui qui permet de retrouver sa dignité. Ses échanges sont teintés de bienveillance et de pudeur. Revêtu des mêmes couleurs ternes que celles des douches, il se fond dans le décor. Pour le réalisateur, Foued Mansour, ces lieux rappellent son enfance, il évoque la difficulté de devoir s’y présenter mais aussi la prise de conscience d’une diversité sociale rassemblée dans un même but.

Au milieu de cette austérité surgit Mike, un adolescent agité, libre de toute responsabilité, qui bouscule la vie organisée d’Ahmed. Le court métrage qui se présentait presque comme un documentaire devient alors une fiction. D’abord hostile, la relation entre les deux hommes se transforme rapidement, le vieil homme acceptant de s’ouvrir aux écarts du garçon, qui lui redonne le goût des plaisirs simples. Naturellement, Ahmed se comporte comme un père avec Mike, autant dans ses interdictions que dans ses encouragements. Pendant quelque temps, chacun apprend de l’autre en échangeant ses peines, ses espoirs, oscillant entre les non-dits et les aveux blessés. Pour différencier ces extrêmes, Foued Mansour illustre les mots retenus en présentant Mike et Ahmed en champ/contre-champ, en opposition à une conversation qui les réunit dans un même plan lorsqu’ils se livrent intimement l’un à l’autre. Ces échanges nous révèlent la situation d’Ahmed : loin de sa famille, il est venu en France pour subvenir aux besoins de celle-ci mais, avec le temps, les liens, les appels ont cessé. Depuis, il s’est habitué au silence.

Le réalisateur rend hommage aux immigrés de première génération qui ont quitté leur pays pour améliorer la condition de leur famille au détriment de la leur. À travers Ahmed, c’est la noblesse, l’humilité de ces travailleurs que l’on perçoit, l’idée d’un sacrifice absolu partagé par beaucoup de vies discrètes.

C’est avec le départ de Mike qu’Ahmed reprend sa vie en main. De nouveau seul, il contacte sa famille et change le cours des choses. Il renoue avec ses racines.

L’insouciance du jeune homme a fini par l’atteindre, lui donner l’occasion de ne pas rester ancré dans la fatalité. Désormais, Ahmed s’autorise des plaisirs, des fenêtres à ouvrir pour respirer un peu, juste avant de retrouver son rôle, son rang, les jours qui se ressemblent.

Aliénor Lecomte

Réalisation et scénario : Foued Mansour. Image : Pascale Marin. Montage : Yannis Polinacci.
Son : Stéphane Blaise, Renaud Bajeux et Niels Barletta. Musique originale : Abdelkader Chaou.
Interprétation : Mohammed Sadi, Bilel Chegrani, Modeste Maurice, Laurent Maurel et Debora Stana.
Production : Offshore.

Avec l’aimable autorisation de Canal+