"Le baiser" de Pascale Ferran
Pour la Saint-Valentin, savourez "Le baiser" de Pascale Ferran.
Ni documentaire, ni fiction. Le baiser est fondé sur un dispositif plus courant en photo : Pascale Ferran a fait poser sur un fond neutre des couples – jeunes et moins jeunes, hétéros et homos – et leur a demandé de s'embrasser. Le film est la succession de ces "portraits", séparés par des noirs.
Ayant évoqué Le baiser lors de mon compte rendu du Festival de Cannes [1990, ndlr] – il y était l'un des trois courts métrages qui représentaient la France –, j'ai reçu une lettre anonyme où une bonne âme me traitait d'inculte, car je n'avais pas vu The Kiss d'Andy Warhol, dont le film de Pascale Ferran ne serait que le remake. Mea culpa. Je réparerai cette ignorance dès que l'occasion se présentera. Pour autant, si similitude il y a – et d'après ce que je sais du film de Warhol, elle n'est pas évidente –, cette similitude n'enlève rien à l'intérêt du Baiser, qui est aussi d'une certaine façon le remake d'une fameuse production Edison de 1896, The May lnvin - John C Rice Kiss, un des premiers gros plans et premier baiser de l'histoire du cinéma.
En même temps, Le baiser éveille en nous le souvenir des autres baisers du cinéma, ceux qu'égrène le fondu enchaîné générique du Cinéma de minuit, sorte d'acmé du happy end, où les corps du héros et de l'héroïne s'épousent harmonieusement comme s'ils n'étaient à ce moment-là que les deux pièces complémentaires d'une même entité. Mais c'est par réaction qu'on y songe en contemplant ces mains qui cherchent leur place, ces bouches qui butinent, tâtonnent, ces corps qui se gênent, s'enlacent plus ou moins adroitement. Même si le filmage plein de tact, puis le montage qui conclut sur le plus sensuel des baisers, suggèrent un vague mouvement dramatique, l'effet de ce dispositif, "artificiel", est de faire resurgir ce grain de réel, une fragilité – celle de l'éphémère –, un tremblement bien souvent estompé quand le cinéma fictionne. Tout le monde n'est pas beau dans Le baiser. On y voit que deux corps qui s'enlacent, même s'ils se connaissent, restent deux corps distincts, deux solitudes, et ne sont pas exempts d'hésitations, de maladresses, de ratés, et c'est cela qui est tout à la fois comique et émouvant.
Tendre, langoureux, passionné, entrecoupé d'un fou rire, furtif, du bout des lèvres ou à pleines bouches, ces baisers procèdent à la fois de l'intime et du rituel. Cette sensation ne vient pas seulement du dispositif, de sa mise en forme, mais de ce qu'il pointe ici en filmant cet échantillon d'humains : un statut qui oscille entre l'identité, l'irréductible singularité – ce ne sont pas des modèles – et l'appartenance à une espèce – ils obéissent aux lois du genre.
Ni documentaire, ni fiction, certes. Mais un document précieux sur le réel et dans ces gestes, ces regards, une myriade d'histoires qui resteront à jamais en suspens.
Jacques Kermabon
Article paru dans Bref n°8, 1991.
Conception et réalisation : Pascale Ferran. Image : Jean-Claude Lorrieu. Son : Jean-Jacques Ferran. Musique : Philippe Ferron. Montage : François Gedegier et Guillaume Roussy. Production : Eclipsa films et Movie Box.
© photo : Marc Schwartz.