Cahier critique 14/12/2016

"Laissé inachevé à Tokyo" d’Olivier Assayas

Les débuts d’Assayas comme cinéaste, à sa période punk et critique de cinéma, alors que débarque en salles son "Personal Shopper".

Lorsqu’en 1982 Olivier Assayas tourne Laissé inachevé à Tokyo, il est loin d’être un cinéphile novice. Fils d’une styliste et d’un scénariste, il a déjà prêté main-forte à son père pour parfaire des scénarios de quelques épisodes de Maigret, il a coécrit L’unique, long métrage de Jérôme Diamant-Berger, et jeune critique aux Cahiers du cinéma (période Daney-Toubiana), il revient tout juste d’un voyage outre-Atlantique où il a pu assister au déclin du Nouvel Hollywood. Enfin, il a déjà coécrit deux films courts avec Laurent Perrin, dont Scopitone, une histoire “de squat, de deal, de coke” avec Edwige, l’une des icônes du milieu post-punk parisien. Il a lui-même réalisé deux films : Copyright, en 1979, avec une autre icône parisienne, Elli Medeiros, la comparse de Denis Quillard, alias Jacno, avec qui Assayas réalise ensuite le film-clip Rectangle. À cette époque, ce n’est pas vraiment le milieu du court métrage qu’Assayas n’apprécie pas, mais c’est l’ensemble du cinéma français qu’il trouve formaliste et minimaliste. À contrecourant, il cultive un esprit punk qui recherche l’inverse : inventer des personnages, raconter une histoire. Laissé inachevé à Tokyo témoigne de ce désir de cinéma différent. Ainsi ce troisième – mais premier “vrai” – court métrage situé dans un Japon entièrement reconstitué, est un thriller qui relève tout à la fois de la série B, du Nouveau Roman, d’un exotisme déconstruit, d’un esprit glamour et d’un graphisme branché. Un casting hybride (László Szabó, Pascal Aubier, Arielle Dombasle, Benoît Ferreux) entoure Elli Medeiros, figure centrale du film qui incarne une romancière et un pion dans un jeu d’espionnage, de retour du Japon et se trouvant entraînée dans d’étranges affaires.

Si l’exercice de la retranscription du récit achoppe ici c’est parce que ce film est avant tout une projection mentale jouant sur une espèce de flottement tant géographique, temporel que physique. Assayas articule ici intuitions et théories et réunit les motifs qui seront constitutifs et fondateurs de son cinéma : un travail sur l’organisation du récit, une géographie flottante avec un pôle d’attraction asiatique et, enfin et surtout, le rôle central dévolue à une actrice. Assayas ne fait pas de métaphysique. La clé de son cinéma, c’est le désir, celui qu’il a pour une actrice et celui que celle-ci peut susciter en lui, mais également chez le spectateur. Laissé inachevé à Tokyo ne cesse d’érotiser Elli Medeiros non pas en la déshabillant mais en l’exposant. Victime blessée, mystérieuse, apparition irréelle, vulnérable, vénéneuse, dangereuse. Avec le personnage de Sophie, il affronte (déjà) les limites, le cadre et la loi. Assayas met en scène un corps, un objet de cinéma, de séduction et de subversion. Elli Medeiros est ici l’arcane d’une modernité qu’il incarne alors – et incarnera à son tour un temps – et après laquelle ensuite il ne cessera de courir.

Donald James

Réalisation et scénario : Olivier Assayas. Image : Denis Lenoir. Son : Patrick Baroz et Philippe Sénéchal. Montage : Luc Barnier et Sofi Verchain. Interprétation : Elli Medeiros, László Szabó, Benoît Ferreux et Pascal Aubier. Production : Palo Alto Productions.