Cahier critique 11/12/2019

"La vie parisienne" de Vincent Dietschy

Un trio amoureux revisité, Prix Jean-Vigo 2012.

Prix Jean-Vigo 2012 du court métrage, La vie parisienne met en scène un dérèglement, celui qui attaque la vie gentiment rangée et un rien ennuyeuse de Pierre et Marion, un couple d’enseignants parisiens légèrement de gauche et amateurs de squares et de ping-pong. Le dérèglement que met en scène le film – avec l’irruption d’un ami d’enfance de Marion – c’est aussi celui qui phagocyte les prémisses trompeurs d’une comédie sentimentale traditionnelle, la faisant d’emblée plier sous l’influence d’un personnage intrusif qui la prend en otage et la fait vite dévier vers l’absurde, l’inattendu et la fantaisie pop colorée.

Rémi, interprété par le nouveau venu Estéban, est donc au cœur d’un récit qu’il organise au gré de ses envies (inviter ses amis retrouvés à l’Élysée ? Rien de plus facile !), des sursauts de sa libido (“Chouette! Et on va dormir tous les trois dans le même lit ?”) et de l’attirance paradoxale qu’il continue de provoquer chez la belle Marion (Milo McMullen, musicienne déjà vue sur scène aux côtés d'Arnaud Fleurent-Didier). Face à ce personnage indolent, au phrasé élastique et à l’assurance proportionnelle à sa capacité à s’adapter à toutes les situations (jusqu’aux plus improbables), Serge Bozon – que l’on aime décidément autant comme acteur que comme cinéaste – oppose son habituelle rigidité, sa raideur de jeu et son élocution claquante, nette et coupante.

Mais tandis que le film sort des rails et laisse, comme par inadvertance, entrer deux passages chantés, le personnage de Pierre ne peut, lui, pas grand-chose face à l’élégance je-m’en-foutiste et décomplexée de Rémi, “sex addict” arrivant au terme de deux ans d’abstinence. Logiquement, Pierre – rationnel, prudent et peu aventureux – ne sait s’adapter.
Il continuera d’évoluer dans son propre film, avec ses règles strictes, et ne pourra jamais devenir un acteur de cette comédie musicale qui s’immisce, laissant les beaux plans sous la neige et le premier passage chanté à la rêveuse Marion, puis un duo (torride) à Rémi, son rival.

Une fille, deux garçons, c’est l’équation classique que revisite avec jubilation Vincent Dietschy jusqu’au terme d’un long et drolatique match de ping-pong, dernier acte sportif et burlesque d’un marivaudage aussi précisément futile et faussement détaché que l’est “Mon coeur balance”, la chanson de Philippe Katerine rythmant son générique de fin.

Stéphane Kahn

Article paru dans Bref n°103, 2012.

Réalisation et image : Vincent Dietschy. Scénario : Valérie Donzelli et Vincent Dietschy.
Montage : Vincent Dietschy et Mathilde de Romefort. Son : Marc Parazon, Laurent Gabiot, Samuel Mittelman et Benjamin Laurent. Interprétation : Milo McMullen, Serge Bozon et Estéban. Production : Sombrero Films.