Cahier critique 05/02/2020

"La traction des pôles" de Marine Levéel

Idylles agricoles 2.0.

Ces dernières années, les écrans de cinéma prêtent aux amours gays des décors pour vivre au grand air. Il y a les rives, en apparence paisibles, d’Alain Guiraudie (L’inconnu du lac, 2013), et la montagne, arpentée et travaillée par les troupeaux et les amants bergers chez Ang et Francis Lee (respectivement Le secret de Brokeback Mountain, 2005, et God’s Own Country, 2017). Le Mika de Marine Levéel est agriculteur lui aussi, mais son exploitation, qu’il s’échine à faire certifier bio, se situe bien loin des reliefs majestueux du Wyoming ou du Yorkshire. Certes plus plats, les champs (de colza) que scrute Mika quand ses cochons lui en laissent le loisir n’en sont pas moins le théâtre de désirs ardents.

Sélectionné à Premiers plans pour la lecture officielle de son scénario en 2018 et récompensé par son Prix du public en 2019, La traction des pôles est revenu à Angers cette année pour une “projection sensorielle”. Le film y était accompagné de son audiodescription, co-rédigée lors des derniers Ateliers d’Angers par Dune Cherville, audiodescriptrice professionnelle, et les participant(e)s à son atelier y ont découvert ce procédé destiné au public non-voyant, qui vise à restituer les éléments visuels d’un film au moyen d’un texte enregistré sur ses silences. Doté à la fois d’un grand sens graphique, à l’image de sa très belle affiche, et d’un subtil travail sonore, l’univers de cette première œuvre se prêtait bien à l’exercice.

Dans le regard de la cinéaste, passée par les Beaux-Arts, ici attentive à la couleur et non rétive à l’usage de quelques effets numériques, les “grands espaces” agricoles de l’Est français se dessinent en à-plats de jaune et monochromes de ciel. Les bips du GPS guident Mika dans le colza, jusqu’à un petit point rouge. Les corps finissent par se rencontrer, dans une plongée verticale où les nuances se mélangent, et où l’on pense à une version pour adultes de l’album illustré Petit-Bleu et Petit-Jaune de Léo Lionni (L’École des Loisirs, 1970). À l’écoute de la vie des sols et des rivières, qu’ausculte un inspecteur sanitaire et où s’agitent quelques têtards, le film travaille à zoomer/dé-zoomer. Des soucis prosaïques – comme la brève évocation du conflit entre adeptes du purisme et de la technologie en agriculture – aux élans romantiques de son personnage. Marine Levéel garde, in fine, les yeux rivés vers le ciel. De son affiche à son générique de fin, le film reste rivé sur les étoiles et file la métaphore ; mystérieusement distillé, un certain magnétisme tracte ces pôles, et leurs trajectoires et unions fugaces dessinent les constellations.

Cloé Tralci

Réalisation et scénario : Marine Levéel. Image : Léo Roussel.
Montage : Marylou Vergez. Son : Rémi Chanaud et Paul Jousselin. 
Musique originale : Santiago Dolan. Interprétation : Gilles Vandeweerd et
Victor Fradet. Production : Apaches Films.

Avec le soutien de la 

Entretien avec Santiago Dolan, compositeur du film :