Cahier critique 10/10/2018

"La quadrature du cercle" de Guillaume Senez

Deuxième cause de mortalité chez les adolescents, encore aujourd’hui…

Si l’expression désigne dans le langage courant un problème insurmontable, la “quadrature du cercle” caractérise à l’origine une énigme mathématique classique et… parfaitement insoluble. Celle-ci consiste à tenter de construire un carré de même aire qu’un cercle donné avec le seul recours à une règle et un compas. Elle est énoncée par un professeur de lycée dans cette coproduction franco-belge, dans laquelle ladite équation apparaît comme la métaphore, dans son implacable impossibilité de résolution, de la question du suicide adolescent. Plus précisément celui de Laurent, quinze ans, un garçon en apparence comme les autres, qui a décidé de mettre fin à ses jours dans le mois à venir. Mais de ce postulat d’une échéance imperturbablement fixée, la narration délaisse l’option de la chronique explicative. Guillaume Senez préfère s’appuyer sur des séquences elliptiques posant la sensation de solitude irrémédiable dans laquelle se trouve son personnage, y compris dans les moments où il est en présence de camarades, de sa petite amie ou de sa mère. Le vide occupe en lui une place de moins en moins supportable et fait basculer la mise en scène dès lors que le spectateur comprend que le pas a été franchi (via le motif symbolique d’une tasse qui déborde).

La disparition ouvre un espace de manque dans la vie des proches et la place vacante semble s’inviter dans le champ même où ils se meuvent, tous plus ou moins affectés par le spectre de la culpabilité. La mise en scène très sobre, avec d’emblée le recours au plan-séquence (un travelling arrière sur l’assistance des obsèques), permet au film de rejoindre son objectif : sensibiliser et toucher sur un sujet grave et suffisamment répandu pour constituer une véritable “question de société”, tout en soulignant la difficulté, sinon l’incapacité de le résoudre.

Laurent n’est pas un paria ; il a grandi dans un confort matériel suffisant ; il ne rencontre aucun échec scolaire et pourrait mener une vie amoureuse normale. Il n’y a dans son acte, dont la radicalité est réfléchie et inéluctable, pas davantage de justification psychologique ou de déterminisme que de prédispositions génétiques. La démonstration tombe à point nommé à l’heure de certaines affirmations contraires, aussi péremptoires que coupablement irresponsables.

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°78, 2007.

Réalisation et scénario : Guillaume Senez. Image : Aldo Piscina. Montage : Julie Brenta. Son : Fred Meert et Éric Ronse. Interprétation : Jérémy Bombace, Nathalie Laroche, Fanny Dumont, Julian Ciais, Samuel De Ryck et David Quertigniez. Production : Iota Production et Les Films Velvet.

 

Entretien avec Guillaume Senez par Bastien Michel – Unidivers.fr