"La plongeuse" de Iulia Voitova
Une plongeuse professionnelle s’entraîne intensément sous les coups de sifflets de son entraîneur. Epuisée, elle refuse de plonger une nouvelle fois et décide d’aller voir un masseur.
À bout de souffle
L’action de plonger recouvre plusieurs significations. Plonger, c’est par exemple propulser son corps au devant, en faire évoluer le mouvement aérodynamique grâce à la gravité et à la résistance de l’air, pour enfin le laisser pénétrer un bassin dans une position prévue. Le plongeon est introduit dans le programme olympique pour la première fois en 1904 à Saint-Louis (États-Unis). En tant que sport olympique, il est appelé "plongeon artistique" ; il faut dire qu’à l’instar du patinage et de la gymnastique, cette activité physique fait du corps une figure pleine de grâce, presque sacrée, aux connotations parfois même mythologiques. Plonger, dans un sens plus métaphysique, c’est aussi basculer de manière totale dans un état d’esprit renvoyant à une contrainte et à la lutte pour se dépasser. La plongeuse, le film de fin d’études d'Iuliia Voitova réalisé en 2018 à l’école de La Poudrière (Valence), semble jouer sur les différents sens du terme, en explorant la discipline du plongeon tout en formulant une méditation (féminine) sur l’effort.
Œuvre alliant une beauté plastique exceptionnelle et une force de propos aussi limpide qu’énigmatique, Iuliia Voitova décide d’utiliser la technique du papier découpé pour créer un univers où les surfaces — surface aérienne, surface aquatique — se superposent dans un premier temps jusqu’à s’annuler provisoirement. On comprend assez rapidement ce qui se trame : la protagoniste du film suit sans relâche un entraînement acharné, scandé régulièrement par un bruit de sifflet. La partie centrale du film, reposant sur un cadre à la ligne de fuite plus évidente, se situe dans le cabinet d’un kinésithérapeute, qui doit littéralement redonner à l’athlète sa forme et son souffle. La séquence de la compétition, placée juste après, fait rejouer les échelles et les surfaces, intégrant d’ailleurs une surface inédite : l’écran de télévision. C’est là que réapparaît le personnage du kinésithérapeute, qui doit finalement s’occuper d’une autre personne : une joueuse de tennis, elle-même rendue inerte par l’effort intense.
Poème visuel soutenu par un travail sonore et musical précis (qu’on doit au musicien Lawrence Williams), Iuliia Voitova transfigure l’activité sportive en expérience sensorielle et mentale fascinante, fondée sur la synesthésie. Le spectateur est plongé dans une position contradictoire. D’un côté, il glisse dans l’esprit de la sportive accomplissant un effort excessif, et ceci dans l’espoir de remporter la médaille. Le spectateur se trouve également dans la position du témoin critique, à distance, espérant voir le corps de la plongeuse exténué reprendre vie. Si l’on s’en tient au langage visuel proposé, cela revient à attendre que chaque pli du papier représentant le corps de la plongeuse (et de la tenniswoman) soit de nouveau bien aplati, ce qui signifie qu’il aura récupéré sa vigueur. La plasticité du corps figuré rejoint la plasticité du geste artistique de la réalisatrice, ce qui engage une réflexion sur la signification de l’effort lui-même, la capacité de l’être humain à se dépasser tout en répondant à une discipline brutale et presque inhumaine. Une allégorie de la docilité, interrogeant notre rapport au pouvoir ? Pour le moins, un appel sublime à la réparation des corps brisés.
Mathieu Lericq
France, 2018, 04 minutes.
Réalisation, scénario et animation : Iulia Voitova. Montage : Antoine Rodet. Son et musique originale : Lawrence Williams. Production : La Poudrière, École du film d'animation.