"La pisseuse" de Suzanne Legrand et Frédéric Benzaquen
Faites une pause avec ce monument de la comédie à la française !
La pisseuse est un film dont on a d'autant plus envie de souligner les qualités qu'elles ne sont pas monnaie courante dans notre cinéma, qui a beaucoup de difficultés à s'illustrer dans le genre de la comédie.
La comédie – et plus précisément sa veine burlesque –, La pisseuse en possède le rythme trépidant, enchaînant chute du lit, jet de chaussure en pleine figure, coups de téléphone et coup de gueule, course après des poissons rouges et contre la montre. Isis, sa jeune héroïne, est un personnage burlesque par excellence. Elle ne cesse de provoquer des catastrophes autour d'elle – un aquarium cassé, la voisine qui ne peut plus rentrer chez elle, une grand-mère qui se croit victime d'une agression... Elle est celle à qui tout échappe : la sonnerie du réveil, sa mère, l'argent, l'heure de convocation à un examen, le jeune garçon dont elle est amoureuse – et qui était pourtant venu jusqu'à elle –, et... un endroit pour faire pipi.
Dans cet environnement qui se dérobe, Suzanne Legrand – interprète d'Isis, mais également coréalisatrice du film avec Frédéric Benzaquen – fait merveille. Parfaite dans son personnage de douce excitée, elle est un corps en ébullition et une voix sous tension. Jouant sur un registre de l'excès qu'elle arrive non seulement à imposer d'emblée, mais également à tenir sur la distance, elle est en quelque sorte la petite sœur loufoque de la Valeria Bruni Tedeschi d'Oublie-moi. Elle est la version dédramatisée et ludique des personnages qui hantent le jeune cinéma français, en quête d'une petite place à se faire dans la société. Comme eux, Isis a des problèmes avec la réalité. Préférant faire des manœuvres invraisemblables pour récupérer des fleurs et une contravention coincées dans ses essuie-glaces plutôt que de tout simplement sortir de sa voiture. Isis a du mal à appréhender son environnement, de même que celui des poissons rouges de sa sœur, lorsqu'elle doit leur choisir un aquarium : "Eau froide, eau chaude ?" Isis préfère ne pas... se mouiller : "Eau tiède." La vendeuse ricane avec une cliente : non seulement il faut employer des stagiaires, mais en plus des "stagiaires handicapés". Lorsqu'un professeur revêche lui rappellera, sans même daigner la regarder, que "les professeurs ne sont pas à la disposition des élèves", Isis ne le saura que trop bien, qui n'aura cessé de faire l'expérience de l'inadaptation au monde. Et tout cela à cause de petits besoins non satisfaits.
Nous sommes vraiment bien peu de choses, mais Suzanne Legrand a des atouts : Blake Edwards, Pierre Étaix et Jacques Tati, autant de grands-pères qui attendent certainement comme nous la suite des hilarantes aventures d'Isis.
Claire Vassé
Article paru dans Bref n°37, 1998.
Réalisation et scénario : Suzanne Legrand et Frédéric Benzaquen. Image : Stéphane Carraterso. Montage : Axelle Malavielle. Musique : Stéphane Heril. Décors : Patrick Garcia. Son : Emmanuel Legall et Rémy Katan. Interprétation : Suzanne Legrand, Véronique Toussaint, Marc Ponette, Maria David, Francia Seguy, Josiane Leveque, Sébastien Thiry, Kim Lou Monnier, Paul Daré et Céline Houel. Production : Monte Cristo Productions.