“La nuit, tous les chats sont roses” de Guillaume Renusson
Alice, dix sept ans, s’apprête à passer un entretien d’embauche pour un stage, sa mère l’oblige la veille à troquer ses vêtements trop larges et usés contre un ensemble jupe-tailleur cintré. Alice s’emporte et sort de chez elle pour prendre l’air. Et puis, elle rencontre Lola.
Des corps qui se frôlent, qui s’effleurent ; une rencontre inattendue, la nuit. Deux solitudes face à un danger. La nuit, tous les chats sont roses de Guillaume Renusson apparaît aujourd’hui comme une matrice narrative de son long métrage Les survivants. Avant que le blanc de la neige ne gagne l’écran, le rose d’une perruque perçait l’obscurité de la nuit. Et Lola apparaissait. Lola, la comète travestie du film qui percute Alice, un soir où elle rentre chez elle, dans le hall de son immeuble. Peu de psychologie dans la confrontation intime de ces deux corps : on ne sait pas tant de choses d’eux, on ne sait pas pourquoi Lola est poursuivie. On sait juste qu’Alice a un entretien pour un stage le lendemain et que cette nuit particulière, cet échange inattendu, l’aidera à se connaître elle-même. Il y a juste des nuits qui nous changent et des rencontres qui nous hantent. Plus tard, dans Les survivants, on retrouvera dans la manière dont Samuel enlève les vêtements mouillés de Chereh, cette pudeur délicate avec laquelle Alice caresse les bleus sur la peau de Lola. Entre ces deux derniers ne resteront en souvenir qu’une danse, des silences et une manière si belle de dévoiler leurs chevelures respectives. Les deux chats sauvages se seront reconnus.
Le film de Guillaume Renusson évoque aussi une circulation de féminités plurielles, celle de la mère se projetant sur la fille (elles ont toute une discussion sur la manière doit être habillée la jeune fille pour son entretien d’embauche) et celle, affichée, de Lola qui permettra à Alice de renouer avec la sienne, qu’elle dissimule sous son bonnet et dans ses vêtements amples.
Dans la jeune filmographie de Guillaume Renusson, La nuit, tous les chats sont roses précède l’aventure du premier long. L’occasion de poursuivre une collaboration scénaristique solide avec Clément Peny, de travailler avec ce chef opérateur si talenteux qu’est Noé Bach (qui assurera la première et brève partie du tournage des Survivants) et de tester sa direction d’acteurs avec deux interprètes alors en pleine révélation cinématographique en 2015 : Roxane Duran a déjà plusieurs longs derrière elle (Le ruban blanc, 17 filles et Michael Kohlhaas) et Loïc Corbery, sociétaire de la Comédie-Française, vient d’avoir un premier rôle au cinéma de Pas son genre de Lucas Belvaux. Il est exceptionnel et juste dans le rôle de Lola, aussi grave que solaire. À la fin du film, il s’évapore, on se demande encore s’il a existé où s’il n’était qu’un rêve, une construction de l’imaginaire de la nuit.
Bernard Payen
France, 2015, 19 minutes.
Réalisation : Guillaume Renusson. Scénario : Clément Peny et Guillaume Renusson. Image : Noé Bach.
Montage : Joseph Comar. Son : Olivier Voisin et Stéphane Isidore. Musique originale : Olivier Militon.
Interprétation : Roxane Duran, Loïc Corbery, Agathe Bodin et Cyrille Thouvenin. Production : Mood Films Production et Qui Vive !.