Cahier critique 25/03/2018

"La nuit tombée" de Gaël Lépingle

Une comédie musicale pour un Noël enchanté. Bonus : entretien avec le réalisateur Gaël Lépingle et Julien Joubert, le compositeur de la musique originale.

Pour parler de La nuit tombée, il faut commencer par évoquer Une jolie vallée, le film que Gaël Lépingle réalisa dans la foulée. Ces deux films, vus ensemble, se complètent harmonieusement, se répondent, non pas à l’unisson, mais comme un canon entonné autour d’une question agitant sporadiquement certains cinéastes d’ici : comment faire une comédie musicale en France, pourquoi chanter dans les films ? Ce qui rassemble les deux films – outre une équipe technique, des mélodies élégantes de Julien Joubert, les fins arrangements de son frère Clément Joubert et la qualité des paroles écrites par le réalisateur lui-même –, c’est leur manière de questionner l’artifice propre au genre. Si La nuit tombée est une fiction assumant l’héritage de Jacques Demy et s’emparant sans rougir des inévitables figures du hasard et de la mélancolie, Une jolie vallée (qui est un documentaire) aura surpris en injectant chant et fiction (via une histoire “connue”, celle des Trois mousquetaires) dans un contexte réaliste et contemporain qu’il ne cherche pas, par ailleurs, à transformer. Autrement dit, quand l’un tente de “ré-enchanter” le monde, l’autre préfère prendre acte de la façon dont le chant réaliserait une utopie collective et réunirait dans un projet commun des habitants n’ayant rien à voir les uns avec les autres.

Cela posé, revenons plus précisément à La nuit tombée. La beauté de la comédie musicale vient souvent d’une bascule, de ce moment où soudain l’on chante ou danse ensemble, où l’environnement des personnages devient ballet, où l’entourage se transforme, s’exprime au diapason de leurs sentiments. Trouver une voix qui lui répondra, cet écho salvateur, c’est toute la difficulté pour Sandrine dans La nuit tombée. Elle est seule, trentenaire amoureuse d’un homme marié qui la délaisse. Qu’elle regarde au début du film des adolescentes jouant, mutines, à la comédie musicale – en se filmant au portable dans un amusant simulacre, une stimulante mise en abyme –, et c’est sa solitude, à elle, qui s’exacerbe. Qu’elle observe en cette veille de Noël la ville qui – le soir tombé, les bureaux vidés – s’anime, et c’est sa mélancolie qui infuse douloureusement. Sandrine, elle, chante, mais seule encore. Tout comme Victor, treize ans, qui va, apprend-on, devoir quitter la ville, ses amis et aussi ses parents. Évidemment, c’est dans une troisième partie que les fils du destin relieront leurs errances nocturnes, qu’ils chanteront ensemble enfin, les thèmes musicaux associés à chacun s’entremêlant en une consolation temporaire, de celles, gracieuses, que la magie du genre sait offrir. Parallèlement, le réalisateur et son monteur s’attardent beaucoup sur les fenêtres éclairées, les badauds, les passants. Des visages, des figures. Autant d’histoires. C’est la beauté de ce film chanté que de nous suggérer que nous faisons partie d’un tout, d’une ville (ici, Orléans) rythmée par des affects partagés ou secrètement dissimulés.

Stéphane Kahn

Article paru dans Bref n°117, 2015.

Réalisation et scénario : Gaël Lépingle. Image : Frédéric Hauss. Montage : Raphaël Lefèvre. Musique : Julien et Clément Joubert. Son : Josefina Rodriguez, Olivier Pelletier et Mathieu Farnarier. Interprétation : Delphine Chuillot, Victor Rabier et Séverine Couret. Production : Les Films de la Villa.