“La marche de Paris à Brest” de Vincent Le Port
En 1927, le cinéaste Oskar Fischinger parcourut pendant trois semaines les routes secondaires entre Munich et Berlin, filmant image par image les gens qu’il rencontrait sur le chemin et les lieux qu’il traversait. En 2020, j’ai reproduit ce geste au cours d’une marche d’un mois entre Paris et Brest.
Comme de plus en plus de cinéastes passés au format long, Vincent Le Port n’abandonne pas le court. Il a même mis à profit le temps d’attente collectif du premier confinement pour peaufiner cette courte échappée belle, tournée entre les deux périodes d’enfermement hexagonal. Un périple pédestro-cinématographique dont ressort une vaste bouffée d’air frais.
Cette marche en avant n’en est que plus forte, aussi, dans son geste-manifeste, qu’elle avance coûte que coûte, d’un point à un autre du territoire et à son propre rythme. Le réalisateur a le goût du risque, du précipice, de l’équilibre ténu entre l’assurance et le vide, quel qu’il soit, comme dans son bien-nommé moyen métrage sacré Prix Jean-Vigo en 2016 : Le gouffre. Comme pour ce dernier, le noir et blanc règne, et le Finistère Nord est le but du voyage, dans tous les sens du terme.
Le film embarque et ne lâche plus pendant ses six minutes de pérégrinations. L’itinéraire géographique entre les deux villes se mue en effet instantanément en une ritournelle, dont l’esprit ne ressort qu’une fois le dernier plan arrivé. L’immersion captivante naît de cet enchaînement incessant d’innombrables images fixes et muettes, en format carré et à la projection accélérée. Au son de la mélodie entêtante du groupe Mind Over Mirrors, intitulée Restore & Slip, les sens vibrent aussi comme dans une ronde aux accents celtes. Alors que le parcours du tournage a été lent et réparti sur un mois, entre le 7 octobre et le 5 novembre 2020, c’est bien la vitesse qui marque ici. Le tourbillon, même. Le foisonnement de visages, de villages, de paysages, et d’un bestiaire ultra riche. L’aperçu d’un instantané vibrant d’un pan du monde jaillit du montage final.
Ce projet unique, singulier et réjouissant touche enfin dans son geste de rendre hommage à un aîné méconnu et disparu, le réalisateur allemand Oskar Fischinger, et à son München-Berlin Wanderung, trésor muet de trois minutes datant de 1927, et créant lui aussi un film d’un trajet entre deux cités. Près d’un siècle sépare le duo de cinéastes, et la magie de raccourcir le temps entre eux opère, pour les réunir dans une visée fraternelle. Vincent Le Port brille par sa déréalisation du réalisme pur. C’est bien un effet poétique qui naît de son œuvre, filmée juste après son premier long métrage, le portrait aussi fascinant que radical Bruno Reidal, confession d’un meurtrier. L’expérience vécue devant La marche de Paris à Brest est aussi fluide qu’accidentée, aussi douce que fragmentée, de la traversée parisienne de la Seine à l’Océan Atlantique. Quand la projection s’arrête, l’esprit est libéré et apaisé, après une course folle, mais généreuse dans son regard sur l’humanité.
Olivier Pélisson
France, 2021, 7 minutes.
Réalisation, scénario, image et montage : Vincent Le Port. Musique : Mind Over Mirrors. Production : Stank.