Cahier critique 16/03/2021

“La maison (pas très loin du Donegal)” de Claude Le Pape

La maison est au 9 bis, vieille route de Landerneau, en haut du Donegal. Non, ce n’est pas le propriétaire qui fera les visites, parce qu’il n’est plus là, mais il y a quelqu’un qui connaît bien...

Le second opus de Claude Le Pape comme réalisatrice fait suite à Cajou (2017). Deux ans les séparent, mais beaucoup de liens les unissent. La province française du nord-ouest, les comédiens (Jackie Berroyer, Laurent Le Pape), le complice à l’écriture et à la collaboration artistique (Hubert Charuel), les producteurs (Stéphanie Bermann et Alexis Dulguerian de Domino Films), le compositeur (Simon Le Pape, ici aussi acteur), et les techniciens du son (l’ingénieur Pierre Leblanc et le mixeur Vincent Cosson). Au cœur, aussi, la figure du père, le lien filial, la transmission. En souterrain, la relation intime de la cinéaste à ses récits, sur le plan biographique et géographique, d’autant plus que ses propres frères sont de la partie pour incarner les fils (Laurent et Simon), et que la bâtisse est la véritable demeure leur père, décédé, et dont la réalisatrice a voulu garder une trace, en la filmant, au moment où les héritiers allaient la vendre.

Transcender le réel en le retravaillant pour créer de la fiction. Raconter, re-raconter et inventer du récit pour mieux rendre palpable ce qui est voué à disparaître. Défi ténu, fragile, mais tangible et émouvant, quand l’entreprise réussit. Le protagoniste, ami et colocataire fauché du défunt, se protège comme il peut de la menace du départ. Il déforme, grossit, caricature, invente, ment et tente de dissuader les acheteurs, pour mieux repousser la réalité. Berroyer excelle, entre dialogues écrits et improvisation. Il incarne de toute sa propension au décalage vivace ce dispositif d’un personnage vulnérable à idée fixe, plongé dans des situations qui s’enchaînent, entre humour cocasse et mélancolie du temps qui passe. Le factuel prend des chemins de traverse.

Comme dans Cajou, Claude Le Pape travaille ces petits riens, échanges, répliques, gestes, rencontres, qui disent beaucoup. Sans coup d’éclat formel, sans excès esthétique, sans couleur vive. La douceur règne dans sa monotonie. Histoire de donner du temps au temps, et de laisser s’exprimer le vide, l’absence. De la pudeur aussi, pour cette œuvre qui achève ses remerciements et dédicaces par cette adresse au paternel : “… et à toi. Allez, Kenavo, Papa !”. Les films parlent, et restent parfois comme des refuges, que l’on peut rejoindre, ou juste se satisfaire de savoir proches, existant quelque part. Dans ce coin breton du Finistère, pas loin du bar Le Donegal, les enfants Le Pape peuvent traîner aux pieds des vagues. Sereins.

Olivier Pélisson

Article paru dans Bref n°126, 2021.

France, 2020, 30 minutes.
Réalisation et scénario : Claude Le Pape. Image : Jacques Girault. Montage : Julie Picouleau. Son : Pierre Leblanc. Musique originale : Simon Le Pape. Interprétation : Jackie Berroyer, Quentin Hodara et Laurent Le Pape. Production : Domino Films.