“La guitare de diamants” de Frank Beauvais
Ne croyez surtout pas que je joue !
“La campagne est un miracle” disait Ingeborg Bachmann dans une des Lettres à Felician. Pas seulement parce qu’elle serait le miroir de l’âme mais plutôt la continuité physique d’une humeur, d’un état – le proche écho, par exemple, d’un vécu amoureux. Dans La guitare de diamants, la nature est alsacienne. Elle se fait le cadre d’une rencontre entre Henry, un chanteur folk venu du Kentucky et Cécile, une jeune femme qui vit seule avec son jeune fils et chante parfois aux fêtes du village. On comprend assez vite que tous deux ont le cœur griffé et que cette égratignure les rend mieux que solidaires : disponibles l’un à l’autre pour un moment, celui de quelques jours d’été, le temps de s’échanger des chansons, d’en construire une à deux qui parle, face aux éléments et aux animaux, de refonte, de disparaître pour renaître ailleurs et plus tard.
De cette rencontre heureuse et fortuite, le film se fait l’écrin, notamment avec une musique composée spécialement par le chanteur et compositeur Matt Bauer qui interprète ici ses chansons à travers le personnage de Henry. Avec une égale tenue dans la tristesse et dans la joie (celle des accords, même passagers), elles disent le hors champ de l’avant et de l’après, comme elles indiquent ce qui dépasse les moments vécus au présent. Cette profondeur apportée par la musique fait que le film miroite littéralement à travers elle. Elle est le train qui emmène le film sans qu’il n’y ait jamais de placage entre son et image – la meilleure preuve étant ces moments de “silence” où les sons naturels (bruit de l’eau, du vent, chant des oiseaux…) continuent organiquement la musique.
Il faut dire enfin la beauté et l’ampleur d’une image réalisée par Rui Poças, chef-opérateur, entre autres, des cinéastes portugais João Pedro Rodrigues et Miguel Gomes. Car c’est une nature rayonnante, et vaste comme certaines forêts d’Amérique, qu’arrive à capter la photographie de La guitare de diamants. Et l’image, saisissant à travers la caméra un espace rendu mythique, habité, agit dès lors à la manière d’une métaphore véritable qui rend l’autre proche sans pour autant effacer son altérité.
François Bonenfant
Article paru dans Bref n°93, 2010.
Réalisation : Frank Beauvais. Scénario : Frank Beauvais et Salvatore Lista. Image : Rui Poças. Montage : Thomas Marchand. Son : Grégory Le Maître et Philippe Grivel. Musique originale : Matt Bauer. Interprétation : Matt Bauer, Manuela Peschmann, Hubert Holweck et Léo Massy. Production : Les Films du Bélier.