"La grève des ventres" de Lucie Borleteau
Liberté, égalité et... maternité ?
C’est à une apocalypse joyeuse que nous convie cette Grève des ventres, deuxième court métrage de Lucie Borleteau agité par une désorganisation formelle et narrative délibérée. L’improvisation de dialogues entre les deux protagonistes féminines ou des séquences de micro-trottoir donnent toute sa spontanéité à cette histoire pourtant politique et nihiliste. Sans renoncer aux joies du sexe, Clara la brune et Lise la blonde initient un mouvement de dépopulation massive en incitant les femmes à refuser de concevoir afin de forcer les dirigeants à améliorer l’état notre société.
Les deux amantes à l’initiative de cette arme massive de politique apprennent de la bouche d’Alexandre, qui parcourt le monde pour son travail, que le mouvement s’étend à toute vitesse, jusqu’en Russie. Le récit lui-même est gagné par cette accélération du temps, condensant plusieurs années de vie en trente petites minutes. Alors qu’au milieu du film, la résolution de changer le monde a gagné la planète, comme Clara et Lise en sont informées par cet amant voyageur qu’elles se partagent, le récit se renverse. La réalisatrice, qui incarne la blonde du duo de trublions, apparaît dangereusement enceinte, mettant à mal ce que le couple avait solidairement acté. La déconstruction citoyenne gagne alors la forme même du film et le pamphlet activiste se transforme en film de famille : famille réelle, puisque la fille de la réalisatrice apparaît dans les scènes finales ; famille artistique, aussi, de tous ces visages devenus plus ou moins familiers depuis : Nicolas Pariser, Shanti Masud, Arthur Harari, Antonin Peretjatko…
On pense beaucoup à la façon dont les films de ce dernier dynamitent les règles du récit pour proposer des uchronies foutraques qui viennent pointer l’absurdité de la société dans laquelle nous vivons. L’idée de collectif irrigue donc le film à tous les niveaux, en particulier lors de ces réunions qui ressemblent aux “Groupes femmes” du MLF des années 1970. S’y voient remettre à plat toutes les considérations sur la place des femmes dans la société, l’éducation, le travail, etc. Et toutes ces séances de discussions aboutissent à un manifeste, véritable tract qui en appelle aux réformes indispensables à la société en matière de genre. Certaines ont depuis abouti (le mariage entre personnes du même sexe, la prise en compte que l’égalité hommes/femmes devait faire l’objet de plus d’attention de la part des gouvernements). On se plaît à rêver que les autres voient également le jour, le plus tôt possible…
Raphaëlle Pireyre
Réalisation et scénario : Lucie Borleteau. Image : Simon Beaufils. Montage : Marie-Julie Maille.
Son : Marie-Clotilde Chéry, Laure Allary et Melissa Petitjean. Interprétation : Sara Rastegar, Lucie Borleteau et Arthur Harari. Production : Why Not Productions.
Entretien avec Lucie Borleteau :