Cahier critique 12/12/2018

"La femme qui flottait" de Thibault Lang-Willar

Un cadavre est sorti du placard… il est dans la piscine !

On surplombe une résidence pavillonnaire aisée. L’architecture des maisons paraît rigoureusement identique, voire gentiment aseptisée. On baigne dans une atmosphère à la quiétude intrigante et fallacieuse.

Lionel attend l’arrivée de son fils Gary, et il “ne veut prendre aucun risque” ; pas question que survienne un accident dans la piscine (il gonfle des brassards), dans la maison (il sécurise les prises électriques) ou qu’il glisse dans la baignoire, comme semble le suggérer la voix off de sa femme sur le répondeur. La satisfaction passagère de Lionel se retrouve troublée quand il distingue une forme rouge dans sa piscine : une femme inanimée flotte. Passés la panique et le réflexe, peu glorieux, de faire les poches à cette inconnue inconsciente, Lionel remarque les ondes scintillantes de la piscine voisine qui dansent sur un muret. Il va pouvoir se délester de la femme dans le bassin d’à côté. L’aspect analogue des habitats révèlent finalement une certaine praticité.

Les deux voisins, aussi patauds que des personnages droit sortis des films des frères Coen – joués par Philippe Rebbot (récemment à l’affiche de L’amour flou), en quadragénaire lunaire, et Michaël Abiteboul à l’aplomb irréfléchi – prennent des résolutions farfelues. Les décisions morales sont aussi flottantes que la vision de ce titre, La femme qui flottait, dont les lettres en capitales se désagrègent et semblent vaciller.

La femme qui flottait est une étude acerbe sur les mœurs contemporaines, nos modes de vie individualistes et nos attitudes discrètement lâches (chantage, dédouanage). Le regard moqueur et ironique – non sans échapper à un certain cynisme – de Thibault Lang-Willar chronique les frasques drolatiques qui se dissimulent derrière les villas intranquilles. Les intérieurs des maisons sont interchangeables, ultra modernes, automatisés (un aspirateur robot qui bute partout comme les protagonistes), mais surtout déshumanisés, comme dans la maison parfaitement fonctionnelle, mais inepte, de Mon oncle de Jacques Tati. Ces espaces ont été conçus pour ne laisser aucune place à l’irrégularité. Évidemment, l’apparition presque fantasmagorique de ce corps est une anomalie, il faut alors s’en débarrasser comme on aspire des grains de poussière. Des décisions asymétriques sont prises dans des espaces symétriques. L’univers de Lang-Willar dérange, telle une forte odeur chlorée. Il est d’ailleurs le scénariste du long métrage Territoires (2010) réalisé par Olivier Abbou, récit perturbant et ambigu sur la noirceur des êtres humains.

En filmant des figures qui usent leur téléphone pour enregistrer des situations alarmantes (preuve juridique ou inconscience de la captation), La femme qui flottait est innervée par une société obnubilée par les images. Finalement, les transats et les bouées reprennent leurs droits, la caméra en plongée peut reprendre son mouvement programmatique en sens inverse, tel un conte macabre.

William Le Personnic

Réalisation et scénario : Thibault Lang-Willar. Image : Julien Poupard. Montage : Lise Fernandez. Son : Antoine Guilloux. Musique originale : Raphaël Haroche et Clément Tery. Interprétation : Philippe Rebbot, Michaël Abiteboul et Chloé Schmutz. Production : Karé Productions.