Cahier critique 15/07/2020

“La distance entre le ciel et nous” de Vasilis Kekatos

Palme d’or 2019 du court métrage.

Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des jeunes spectateurs.

Comme dans Le silence des poissons mourants (2018), Vasilis Kekatos creuse l’idée de l’inéluctabilité. Là, la spirale vers la mort annoncée de son héros ; ici, l’évidence de la relation à naître entre les deux protagonistes. Là, du burlesque noir ; ici, de la romance réaliste. Mais la facture change, due au budget – là confortable, ici réduit – et donc au tournage, cette fois concentré sur quelques heures d’une seule nuit. C’est une rencontre en temps réel. Une approche entre une paire de drôles d’oiseaux. Une drague dans une station-service. Une joute verbale et un match de regards. Qui commence par un échange virtuel avec un autre dragueur, sur écran de téléphone, et qui s’achève sur l’échappée belle de deux corps enlacés sur une moto, vers la capitale. Des séductions, on en a vu au cinéma. En long, en large, en travers. Et pourtant, ce court film tire son épingle du jeu.

Comme les deux origamis, perroquets miniatures inséparables que le héros voyageur essaie de vendre en duo, sinon rien, au motard, le tandem masculin se retrouve aimanté au fur et à mesure que la parole s’accumule. Ce bavardage du chat et de la souris avance par interpellations et provocations. Comme une parade amoureuse qui va de comment on se toise à comment on accepte la connivence. Un récit sur le fil, sur la longueur, telle une pelote dont on tire le fil jusqu’à épuisement. Telle l’allumette dont on suit l’embrasement jusqu’à extinction de la flamme. Sauf qu’ici, autre chose commence ensuite. C’est d’ailleurs par la cigarette et le feu que l’échange s’enclenche, avant le jeu du marchandage. Kekatos est un fin stratège de la construction dramatique, travaillant à la fois sa maîtrise de la grammaire et des outils du Septième Art, et l’ouverture aux vents du dehors, avec les moyens du bord.

Ceux de l’imprévu, de l’urgence, des contingences matérielles, qui font que le cinéaste a peu de temps pour concrétiser son désir. Une tension productive, qui s’exprime aussi par la fébrilité de la caméra tremblée, par le papillonnage des silhouettes et des regards, et par le suspense croissant quant au départ, ensemble ou non. Ioko Ioannis Kotidis et Nikos Zeginoglou rivalisent de présence dans le cadre et c’est du cinéma sans filet, au plus près de leurs visages, cadrés en gros plan et en légère contre-plongée, s’appuyant sur la texture des peaux et sur la puissance des iris qui se défient. Le duel incertain vire au slow provocateur, et la buée hivernale et la fumée du joint réchauffent la piste. À la fin, plus besoin de convaincre, la distance n’est plus une inconnue, la route est aux futurs amants, la nuit leur appartient et la bande-son peut entamer le I Surrender de Suicide.

Olivier Pélisson

Réalisation et scénario : Vasilis Kekatos. Image : Giorgos Valsamis. Montage : Stamos Dimitropoulos.
Son : Yanis Antypas et Valia Tserou. Musique originale : The Boy. Interprétation : Ioko Ioannis Kotidis et
Nikolakis Zeginoglou. Production : Blackbird Production et Tripode Productions.