Cahier critique 23/01/2017

"La chatte andalouse" de Gérald Hustache-Mathieu

Une ode au corps et à l’âme, ce moyen métrage est porté par la muse du réalisateur, la trop rare Sophie Quinton.

Sœur Angèle, de la communauté des petites sœurs de la couronne d'épines, va vendre des pots de miel sur le marché du village. Les pots bien rangés sur son étal, elle biffe le prix d'origine pour l'augmenter de cinq francs. À la fin du marché, tirant sa carriole, elle s'arrête devant un distributeur de préservatifs. Elle y glisse une pièce, mais la machine refuse obstinément de lui délivrer la petite boîte. Survient alors Paolo qui, d'un grand coup de poing, libère les préservatifs. Sœur Angèle les récupère et s'enfuit. Une maison sur la plage normande. À l'entrée, une gravure d'un sexe de femme généreusement offerte. Sœur Angèle pénètre dans la maison, retire son voile et sa robe de bure. Un jeune homme frappe à la porte, elle ouvre et le laisse entrer. De retour au couvent, elle s'agenouille devant une icône, prie et demande pardon...

Le début du court métrage de Gérald Hustache-Mathieu sonne comme un blasphème. Avec un titre un rien évocateur, La chatte andalouse fait référence au cinéma subversif de Buñuel. Mais le clin d'œil s'arrête là. Ce film reprend le cours de son histoire à force de flashback bien rodés qui expliquent peu à peu les raisons et la véracité de tels agissements. Il est question de sexe, certes, mais plus singulièrement de phallus-objets érigeant une œuvre d'art. Les flashback ici distillent leurs informations aux moments opportuns. Ce qu'ils nous donnent à voir reste le strict nécessaire. La narration contrôle l'histoire ; elle précède la compréhension du spectateur à l'instar de la caméra qui précède le personnage. Elle préfère épier les réactions de sœur Angèle que montrer ce qu'elle regarde. Tout l'enjeu du film réside dans l'attente des réactions non conventionnelles du personnage principal. Une situation comme celle-ci (une sœur confrontée brutalement aux pénis) engendre des attentes pour le spectateur ; tout concourt à penser que le sacré se risque au profane. Or il n'en est rien. Le film déçoit les attentes préconçues : il ne tombe pas dans le voyeurisme ou dans un anticléricalisme malsain. Il gage de se cristalliser sur l'amour – physique et moral –, l'amour de/et dans l'art.

Sœur Angèle a rencontré cette Espagnole, Rosa Maria Dolores, sur un lit d'hôpital. De confidence en confidence, Rosa évoque son amour de l'art et sa passion pour la représentation de l'amour en général : si le pistil d'une fleur a la même fonction que le sexe de l'homme, c’est que la poésie est partout dans la nature, et naturellement partout. Même les produits pharmaceutiques que l'on trouve dans les hôpitaux deviennent matière à l'art et à la poésie. Elle improvise une palette de couleurs à base de bleu de méthylène, de mercurochrome et autre pollen de fleurs. Et sa sensibilité s'exprime à même une feuille de suivi de température ; sensuellement, avec ses doigts, elle esquisse un tableau sur ces courbes sans signification. C'est L’amour de Miró, sauf que celui-ci est plus joyeux.

Les couleurs s'opposent, s'attirent : le bleu du voile de sœur Angèle, celui des moulages des sexes en érection ; le rose alizarine du pigment final et le châle espagnol. Mais elles ne se mélangent pas sauf peut-être pour se réconcilier sur le visage de sœur Angèle, le bleu de ses yeux et le rose de ses joues effarouchées.

Gérald Hustache-Mathieu retrouve ici la jeune comédienne Sophie Quinton qu'il avait déjà révélée dans son premier film Peau de vache. Son visage virginal envahit l'écran et captive le spectateur. Au fond, cette ingénuité dissimule une sensualité féminine à fleur de peau, à peine consciente ou qui relève, du moins, du subconscient, que nous découvrons dans la séquence onirique de la danse du ventre. Et lorsque Rosa, sous les traits de la chorégraphe Blanca Li, participe de cette ode à l'amour, c’est pour le décrire « profundo y emocionantes ». Il faut le savourer en silence ou alors en musique sur des notes arabo-andalouses.

Rosa place la femme au centre de l'amour et au centre de son œuvre d'art. Gérald Hustache-Mathieu fait de même dans son film. Il réduit l'homme à l'état de modèle-objet (y compris Paolo, compagnon charpentier qui se trouve là par hasard et bientôt repartira sur les routes), et célèbre la femme. Même dépourvue de ses attributs séducteurs (Rosa est malade et alitée, Sœur Angèle a fait vœu de chasteté), elle occupe l'espace narratif et, au-delà, jusqu'au comble de la féminité : la réincarnation finale de Rosa en magnifique chatte noire.

Sylvie Delpech

Article paru dans Bref n°56, 2003.

Réalisation et scénario : Gérald Hustache-Mathieu. Image : Aurélien Devaux. Montage : François Quiqueré. Son : Yvan Dumas, Pierre André et Marc Doisne. Interprétation : Sophie Quinton, Blanca Li, Cédric Grimoin et Clémence Massart. Production : Dharamsala Productions.