Cahier critique 03/10/2018

"L’ogre" de Laurène Braibant

Un appétit taille XXXL.

Sumo, la première animation de Laurène Braibant (voir ci-dessous), et L'ogre sont deux films proches par la place centrale qu'ils donnent à des corps hors du commun. Mais là où, dans Sumo, la chair, ses mouvements, la présence concrète et physique du corps, sont mis en avant comme symboles de force, dans L'ogre, le corps est un objet encombrant, source de mal-être et symbole, cette fois, d'isolement et de faiblesse. 

L'ogre commence de manière réaliste. Un homme est assis nu devant son frigidaire vide. Les couleurs sont pâles, presque blanches ; les dessins faits de peu de détails. On comprend dès ces premiers plans qu'il est déçu de ne pouvoir rien manger, certes, mais il est surtout seul, et ce frigidaire demeure son compagnon principal. L'homme part alors au restaurant, mais lorsqu'il sort de chez lui, son corps enfle de plus en plus, et il devient, non seulement ogre, mais géant. C'est alors le regard des autres et l'arrivée dans le monde extérieur qui bousculent toutes les proportions et qui font basculer le film dans un univers fantasmagorique et poétique. Mais une fantasmagorie guidée avant tout par le regard de l'ogre lui-même ; ou plutôt, par le regard qu'il croit que l'on porte sur lui, empli d'un sentiment de culpabilité qui amplifie chaque sensation d'inconfort, et par là-même, la perception démesurée de son propre corps. Le dessin change aussi, les couleurs se font plus vives et les autres personnages, serveurs et clients, pourraient être rapprochés de ceux des expressionnistes autrichiens, tels que Kirchner, conjugués à l'agilité de certaines figures de Matisse. 

Dans ce court métrage sans paroles, la musique de Pierre Caillet joue un grand rôle. C'est elle qui semble pousser le personnage vers son point de non-retour. En effet, alors qu'il commence avec précaution son repas, avec la précipitation de la musique se met aussi en marche sa folie boulimique, l'ogre allant jusqu'à manger quelques invités, tout ce qu'il trouve, enfin, sur son chemin. Le tableau paraît sombre. Pourtant, L'ogre ne tombe pas dans cette cruauté que l'on trouve, par exemple, dans une des sources d'inspiration du film, La faim de Peter Foldès. Le chaos ne dure pas, mais se transforme en une harmonie mystérieuse, où cet ogre aux traits délicats, être grossier et fragile en même temps, disparaît doucement dans le cosmos (ou dans un rêve ?), peut-être le seul abri à sa solitude. 

Léocadie Handke

  • Réalisation, scénario et direction artistique : Laurène Braibant. Animation : Gilles Cuvelier, Gabriel Jacques et Laurène Braibant. Montage : Gabriel Jacquel et Sarah Van Den Boom. Son : Matthieu Langlet. Musique originale : Pierre Caillet. Production : Papy3D Productions.

En partenariat avec 

 

Rencontre avec Laurène Braibant – Festival du cinéma d'animation d'Annecy 2017 :