“L’invité” de Guy Jacques
Un personnage vit seul dans une cabane au milieu des bois. Las d’attendre en vain une éventuelle visite, il quitte sa cabane et part dans la forêt…
Lʼinvité est le deuxième court métrage de Guy Jacques. Cʼest encore aujourdʼhui le film le plus identifié de ce réalisateur
discret, décédé en 2016, qui passa ensuite très vite à la prise de vue réelle, abandonnant (presque) lʼanimation dès son film suivant, Uhloz, en 1989.
De fait, pour ceux les ayant découverts alors, Guy Jacques demeure plus connu pour ces deux courts – qui lui valurent chacun une nomination aux César – que pour ses longs métrages (Je mʼappelle Victor, Violetta, la reine de la moto)
à lʼunivers poétique singulier, aux castings de trognes fleurant bon le cinéma d’après-guerre, mais dont le retentissement public demeura discret (on connait un peu mieux Ze Film, son dernier, comédie sans doute moins personnelle autour des aléas de la fabrication d’un film).
Fort de nombreuses récompenses en festivals, Lʼinvité peut être considéré non seulement comme un classique du court métrage mais, bien plus, comme un classique du cinéma dʼanimation. Au-delà de la mélancolie qu’il distille, L’invité est – alors que l’époque n’invitait pas encore à la nostalgie – une déclaration dʼamour à lʼart de lʼanimation image par image. En mettant en scène, dans une belle mise en abyme, lʼacte même dʼanimer un pantin, le film de Guy Jacques sʼimpose comme une réflexion sur la puissance du cinéma, sur sa capacité, par le truchement du défilement de la pellicule dans la lumière, à produire le mouvement, et donc la vie.
En cela, le film entretient des liens étroits avec ceux dʼune petite bande de cinéastes qui, au début des années 1980,
renouvelèrent, en France, lʼapproche de lʼanimation en volumes avec des films courts à la lisière du fantastique (Jean-Manuel Costa avec La tendresse du maudit, Olivier Gillon avec Barbe bleue, Jean-Pierre Jeunet avec Le manège). L’invité est aussi une production emblématique de la société Banc public dʼUlysse Laugier, figure marquante du court métrage français à l’époque, à qui lʼon doit également des films de Henri Herré, Éponine de Michel Chion ou le mythique Star Suburb de Stéphane Drouot.
Si le film de Guy Jacques se distingue encore aujourd’hui de la plupart des films produits en stop-motion dans les années 1980, cela tient à sa dimension réflexive, quasi théorique a posteriori, qui jamais ne vient gâcher l’émotion.
La plus belle scène se situe ainsi au moment de la découverte du pantin, quand le vieil homme, quittant sa forêt, se retrouve en un lieu indéterminé (une prairie ?), sa silhouette se détachant sur un fond bleuté (le ciel ?) où l’on remarque une imperfection : une sorte de fissure. Volontairement, Guy Jacques brise soudain l’illusion en révélant l’artificialité de son décor. Le doute n’est plus permis quand s’enchaînent ensuite quelques gros plans fugaces sur des outils que l’on devine être ceux d’un marionnettiste ou d’un animateur au travail. Le plan d’ensemble saisissant le protagoniste solitaire face à une créature inanimée (et en cours de fabrication) nous permet d’identifier une table de travail et de remettre en perspective les dimensions réelles du personnage (une lampe de bureau le surplombe, un objectif de caméra est posé à côté de lui, et l’on remarque même, punaisés au mur, un bout de pellicule et une page de story-board reproduisant… quelques plans vus plus tôt, à l’entame du film !).
On comprend alors le sens de l’immobilité du vieil homme à sa toute première apparition quelques minutes plus tôt (figé dans son mouvement à venir, avant que la succession des images, d’abord saccadée puis plus fluides, ne vienne procurer l’illusion de la vie, celle-là même qu’il s’emploiera ensuite à offrir à son compagnon de fortune) et la fonction annonciatrice de quelques bruitages énigmatiques au début (à commencer par une sonnerie de téléphone que l’on identifie à contrecoup comme appartenant à l’univers extra-diégétique de l’animateur).
La beauté pérenne de L’invité repose définitivement sur ces quelques secondes de trouble, où une marionnette – tel un personnage de Tex Avery ou de Chuck Jones se retrouvant, au détour d’une poursuite frénétique, en marge du défilement de la pellicule – passe la frontière que la fiction et l’illusion cinématographique lui impartissaient, accédant par-là même à un savoir lui permettant ensuite de se faire à son tour cinéaste.
De manière assez cocasse, le film peut donc rétrospectivement être lu comme un manifeste pour le support argentique et comme une profession de foi pour lʼanimation image par image. Rappel sans doute salutaire et affirmation de la magie inhérente au procédé de stop-motion quand les caméras numériques ont remplacé les vieux appareils mécaniques et quand les êtres de synthèse peuplant l’audiovisuel mainstream font un peu oublier la poésie résultant naturellement de ces créatures
inanimées, mélancoliques au creux des images fixes mais auxquelles la projection pouvait miraculeusement prêter vie... Que cela même soit le sujet de Lʼinvité le rend aujourdʼhui dʼautant plus émouvant.
Stéphane Kahn
* Cet article développe certaines idées amorcées dans un texte de l’auteur sur L’invité paru en 2004 dans Une encyclopédie du court métrage français (Éditions Yellow Now).
France,1984, 8 minutes.
Réalisation, scénario et animation : Guy Jacques. Image : Jérôme Robert. Son : Jacques Torrens et Jean-Paul Loublier. Musique originale : François d'Aime. Production : Banc Public.