Cahier critique 19/04/2017

"L’invention des jours heureux" de Sandrine Dumas

"Nostos", le premier long métrage de Sandrine Dumas est en pleine actualité. Une bonne occasion pour découvrir son deuxième court.

La réalité de la vie des immigrants en France est un sujet régulièrement visité par le cinéma hexagonal, et par le court métrage en particulier. Mais, à la gravité souvent de mise, certain(e)s opposent parfois un lumineux regard qui n’occulte pas les difficultés rencontrées au quotidien par ces minorités peu visibles, sans dramatisation excessive et sur un ton de chronique douce-amère plutôt séduisant. C’est le registre abordé avec son second film court par la comédienne Sandrine Dumas.

Dans L’invention des jours heureux, elle met en scène deux trajectoires s’inscrivant en parallèle dans un environnement urbain déterminé : le quartier des Olympiades, dans le XIIIe arrondissement de Paris. Le site reste comme l’une des plus évidentes incongruités de l’urbanisme de la capitale de ces dernières décennies et une série de plans ouvrant le film, qui cadrent plein champ l’architecture des tours plantées autour de la fameuse dalle, posent le décor étouffant où évoluent les deux héroïnes. Olga, venue de Russie avec ses deux enfants, et Mai, jeune Chinoise débarquée à Paris par un réseau de passeurs qu’elle doit rembourser, vivent modestement de petits boulots.

Il n’est heureusement pas question de prostitution, Olga étant couturière et Mai complétant son emploi du temps d’étudiante par un job plutôt cocasse, puisque la jeune fille joue régulièrement à la mariée pour des photos que de faux époux adressent à leurs proches restés au pays. Ces clichés sur fond de carte postale – la Butte Montmartre ou le pont Alexandre III – montrent l’écart existant entre la réalité vécue par ces étrangers de Paris et leurs familles la fantasmant à des milliers de kilomètres. C’est aussi le cas pour Olga lorsqu’elle écrit à sa mère et chacune des deux femmes participe donc à inventer ses propres jours heureux en Occident, dans cet eldorado supposé. Le montage alterné des séquences de ces deux existences finit par converger, lors d’une rencontre dans l’échoppe du patron de Mai, où une complicité se noue entre les deux femmes autour d’une expression idiomatique française (“n’y voir que du feu”), discret indice d’une volonté d’intégration dans une société qui ne veut pas forcément d’elles. Cet improbable croisement d’itinéraires apparaît ainsi émouvant, d’autant qu’il permet de retrouver le regard mélancolique de Katia Golubeva, prématurément disparue.

Christophe Chauville

Article paru dans Bref n°101, 2012.

Film édité sur le DVD #25 de la Petite collection de Bref.

Réalisation : Sandrine Dumas. Scénario : Natalia Reyes et Sandrine Dumas. Image : Marc Tevanian. Son : Jean-Paul Mugel, Anne Gibourg et Emmanuel Croset. Montage : Barbara Bascou. Musique : Delphine Ciampi et les Colettes. Interprétation : Katia Golubeva, Yanan Li, Tien Shue, Eliott Olivrie et Lucie Laporte. Production : Sotavento Productions et Pio & Co.