Cahier critique 12/06/2017

“L’homme aux bras ballants” de Laurent Gorgiard

Prix spécial du jury au Festival d’Annecy 1998

L'homme aux bras ballants fête ses vingt ans. Et force est de constater que la magie de ce court métrage d'animation en volumes opère toujours, même si son auteur, Laurent Gorgiard, s'en est allé trop tôt, dès 2003, laissant à la postérité cet unique film, merveille poétique empreinte d'expressionnisme. Adapté d'une très courte bande dessinée en noir et blanc de Gilles Gozzer (quelques cases seulement), L'homme aux bras ballants a été produit par Lazennec Bretagne, structure animée par Jean-François Le Corre, qui allait bientôt se transformer en Vivement lundi, société de production ayant depuis à son actif nombre de courts métrages d'animation marquants, à commencer par ceux de Bruno Collet (Le jour de gloire, Le petit dragon). 

La présence de Yann Tiersen au générique est constitutive de la réussite de ce film d'animation puissamment mélancolique et laissant la part belle aux effets sonores et à la musique. Originale, cette dernière fut d'ailleurs reprise, sous une forme un peu différente, sur le troisième album du musicien, Le phare, bien avant que le mariage des mélodies de Tiersen avec le cinéma ne devienne, par le truchement de Jean-Pierre Jeunet, absolument évident. Pourtant, dès 1997, soit quatre ans avant le succès faramineux du Fabuleux destin d'Amélie Poulain et de sa bande originale, Tiersen composait aussi, rappelons-le, pour un autre court métrage d'animation, celui, tout aussi somptueux, de Philippe Jullien, Le cyclope de la mer, une autre histoire de monstre...

Que le cinéma soit affaire de lumière peut en partie expliquer la pérennité, la valeur essentielle d'un mouvement esthétique, l'expressionnisme allemand, reposant sur ses déséquilibres autant que sur la lutte des contrastes, des ombres et des perspectives. L'homme aux bras ballants, dont l'image est signée Olivier Gillon, réalisateur de Barbe Bleue en 1979, ne parle justement pas d'autre chose que de lumière avec ce personnage lourd et difforme dont la mission – littérale – n'est autre chaque soir que de faire se lever la Lune. L'inversion – un lever de Lune en lieu et place du lever de Soleil, un être terrien et asymétrique faisant s'élever un astre parfaitement circulaire – ancre la nature fantastique d'un projet dont l'entame inquiétante et nocturne mettait pourtant le spectateur sur d'autres rails que ceux du conte poétique, où les silhouettes héritées de M, le maudit ou de Nosferatu, paraissaient plus menaçantes que bienveillantes. Mais du jeu des ombres sur un mur – de la projection donc – naîtra pourtant cette Lune sans laquelle, suggère ce beau rêve de cinéma, nos nuits ne seraient décidément pas les mêmes.

Stéphane Kahn

Réalisation : Laurent Gorgiard. Scénario : Laurent Gorgiard, d'après une nouvelle illustrée de Gilles Gozzer. Gouache : Guillaume Legoupil et Éric Bordier. Image : Olivier Gillon. Animation : Jean-Marc Ogier. Décors : Jean-Marc Ogier et Bruno Collet. Montage : Anne Rennesson. Son : Patrick Le Goff. Musique : Yann Tiersen. Production : Lazennec Bretagne.