Cahier critique 01/01/2017

"Étoile violette" d’Axelle Ropert

La première expérience de réalisatrice d’Axelle Ropert, dans un registre très différent de "La prunelle de ses yeux", sa dernière comédie, distribuée en salles le 21 décembre.

Alexandre, un jeune homme d'une trentaine d'années, est affairé à coudre des étoffes. Il est tailleur, et dans sa boutique, lorsque la fin de la journée approche, il écoute Confession minute, une émission de radio où les auditeurs ont la parole. Le soir, Alexandre se rend dans une école élémentaire où des adultes, pour la plupart trentenaires comme lui, se rendent pour rattraper le temps perdu. C'est le premier cours, le professeur se présente et donne une idée de ce qui sera son sujet : la solitude de Jean-Jacques Rousseau. Chacun y apprendra à dire ce qu'il voit – chacun y apprendra ce qu'il doit dire – lorsqu'il regarde un ciel étoilé. L'enseignement y sera aussi que la solitude de Jean-Jacques Rousseau, vraiment, c'est atroce, et qu'il ne faut pas s'y laisser prendre. Alexandre, revenu d'une longue rêverie avec le promeneur solitaire, se l'entendra dire, lorsque son interprétation de la légendaire rupture entre Rousseau et Diderot aura été jugée nulle par le professeur.

Étoile violette, en jouant sur un registre qui touche souvent à l’absurde, élabore et fait se confronter des espaces très différents les uns des autres. Le lieu du travail n’est pas le même que celui des cours, qui à son tour n’est pas le même que celui de la rencontre avec Jean-Jacques Rousseau. Chacun de ces lieux appelle une manière d’être particulière, une mise en scène spécifique, et une caméra qui s’y place et s’y déplace différemment. La salle de classe met en évidence ce dispositif. Elle fonctionne comme un lieu de théâtre et vient montrer, contre une thèse de Rousseau, que les arts peuvent servir le progrès des hommes puisque, ici au moins, ils permettent aux élèves de s’approprier, en lui donnant corps, ce qui leur est enseigné. De l’incorporer.

Après cette remarque, il n’est guère besoin d’ajouter qu’Axelle Ropert demande et reçoit beaucoup de ses comédiens, et ce n’est pas la moindres des qualités que de savoir demander er recevoir, c’est-à-dire diriger. Et si nous devions proposer un maître à penser, une bonne étoile pour caractériser ce qui est entrepris sous le titre Étoile violette, les noms de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet viendrait avec naturel sur le bout des lèvres.

Il faut attirer l’attention sur trois plans-séquences qui sont également des mouvements musicaux. Le premier de ces plans sillonne le mur de la boutique du tailleur, un autre s’attache à suivre le tailleur et le philosophe qui marchent à reculons dans les bois, et le dernier parcourt les branches des arbres de la cour de l’école avant de s’arrêter sur les doigts du professeur qui serrent l’étoile violette que Rousseau, qui était aussi botaniste, dit avoir chercher toute sa vie. Ces trois suspensions, qui sont comme trois refrains autour du difficile apprentissage du savoir “vivre ensemble”, font respirer un dispositif qui sans cela aurait pu sembler un peu figé.

Alexandre, qui se projette dans la figure de Jean-Jacques Rousseau, apprendra de lui que la transparence, le manque d’éclat permettent de ne pas aveugler les autres et ainsi de vivre sous leur regard. Une invitation à la solitude qui contredit ce qu’enseignent les cours du soir. Entre ces deux leçons, Alexandre flotte, qui semble vivre sa vie sociale comme une impossibilité et qui s’entend dire ce qu’il sait d’expérience quotidienne : l’enfer, ce n’est pas les autres, mais bien la solitude qui lui est échue, ici et maintenant.

Rodolphe Olcèse

Article paru dans Bref n°67, 2005.

Réalisation et scénario : Axelle Ropert. Image : Céline Bozon. Son : Laurent Gabiot et Benjamin Laurent. Montage : Cyril Leuthy. Interprétation : Lou Castel, Emmanuel Levaufre et Serge Bozon. Production : Éléna films