Cahier critique 26/02/2020

"L’aventure atomique" de Loïc Barché

Une expédition radioactive avec Swann Arlaud.

Il y a soixante ans, la France testait sa puissance nucléaire au-dessus du Sahara. La région n'était pas “vide” : 40 000 personnes auraient été touchées par les impacts. Les faits sont attestés, historiques. À travers eux se lit aujourd’hui l’exercice d’une puissance coloniale qui se croyait tout permis hors du sol de la métropole, ainsi que la participation aux nouveaux “jeux olympiques” de la course aux armements. Avec un peu de retard sur ses concurrents, au début des années 1960 donc, la France entre dans l’aventure atomique. À la manière d’un historien, le réalisateur Loïc Barché se passionne pour des problématiques épistémologiques qui traversent notre temps et, à travers ses scénarios, questionne l’état du monde. Goliath (2016), tel un épisode de la série Black Mirror sans la dimension dystopique, s’interroge sur les enjeux et les effets du monde à l’ère 2.0. L’angle adopté par le réalisateur est double. À la fois dramatique : on plaint un pauvre type, ce personnage solitaire qui parie, sur un coup de dés, via un algorithmique pour se faire remarquer sur Facebook par une fille qu’il connaît à peine. Et comique : alors que tout est millimétré, rien ne marche comme prévu.

On retrouve ce savoureux mélange de noirceur et de comédie dans L’aventure atomique. Comme le confirme Loïc Barché, que nous avons rencontré pour Bref n°125, ce court métrage n’est pas un film historique. “L’idée n’était pas de faire un témoignage mais de faire communiquer ce moment-là avec aujourd’hui.” L’aventure atomique est une vraie fiction et non une reconstitution : le film s’enracine dans un moment clé de l’histoire de la France et celle de l’Algérie (celui des progrès énergétiques et de l’affirmation de la puissance de la nation française). La traduction qu’en donne Barché est somme toute assez ordinaire, éloignée en tout cas d’un traitement attendu sur le mode du film-catastrophe. C’est l’histoire de quelques pieds nickelés de l’armée française qui ne savent pas, qui n’ont pas conscience de ce qu’ils font et qui, lorsqu’ils le comprennent, font ce qu’ils peuvent, c’est-à-dire pas grand-chose. C’est là toute la perversité de l’énergie atomique : elle est un élément imperceptible à l’œil nu. On aperçoit l’explosion, mais elle demeure lointaine. Évoquer la menace invisible, c’était l’un des points fort de la mini-série Chernobyl. On pourrait également penser à The Fog de John Carpenter. Même s’il ne signe pas un film directement inspiré par ces références, Barché ne cesse de jouer, comme Carpenter, sur une géographie des espaces où la vulnérabilité diminue ou augmente selon que l’on se trouve à l’intérieur (le camion, sous le sable) ou à l’extérieur (dans le désert). Le confinement du camion fait contrepoint avec le désert. C’est d’ailleurs la situation qui ouvre le film : les soldats sont à l’intérieur du camion, il s’est passé un petit quelque chose dont les signes tangibles sont un éclair de lumière et quelques légers tremblements, mais au fond ce n’est pas grand-chose, alors tout le monde s’amuse et se félicite.

Après Goliath, Barché passe, avec L’aventure atomique, à une configuration de tournage plus musclée : neuf jours en Tunisie, quarante personnes sur le plateau, plus d’effets spéciaux et surtout sept acteurs. C’est déjà presque une “équipe de foot” nous explique Barché. Et en effet, bien qu’il retrouve ici Swann Arlaud, son acteur fétiche qui tenait le premier rôle dans Goliath et qui continue à faire ici le premier de cordée, le rapport du réalisateur vis-à-vis de ses personnages a évolué : on est moins dans l’empathie, moins dans un cinéma à la première personne, que dans une espèce de burlesque. Il suffit, là encore, de jeter un œil à ces plans larges dans lesquels les soldats sont groupés vêtus de combinaisons identiques : jaune terre sur fond du désert de la même teinte, ils sont minuscules face à l’événement lointain, pantins inconscients dont on serait assez fou de rire.

Barché a choisi de mettre en scène l’un des points dans lequel s’origine une idéologie, celle du progrès, devenue aujourd’hui assez problématique. Parallèlement à cette fiction tragi-comique, Barché met également en scène un buddy movie, un film de potes uniquement interprété par des garçons. Tous sont des militaires. On ne peut voir L’aventure atomique sans interroger cette présence et cette expression du masculin qui organise les relations entre les personnages, et qui transparait dans le choix des couleurs (les combinaisons marron-jaune) et des formes (la platitude du désert). Ce désert auquel il manque peu de lettres, mais il en manque tout de même, pour que phonétiquement il soit désir. Ce désir enfoui, imagé, fantasmé, va pousser, prendre la forme d’un grand champignon. L’aventure atomique se fait peinture de ce désir malade, et par extension du désir de puissance d’un “pays de merde” (la couleur des uniformes de ses soldats). Que ce film n’ait pas été tourné en Algérie va peut-être de soi pour ceux qui sont au courant de la situation géopolitique de l’Algérie actuelle. Mais cela interroge. Comme si la puissance de nuisance dépeinte ici avait encore des effets collatéraux là-bas.

Donald James

Réalisation : Loïc Barché. Scénario : Loïc Barché et Marie Monge. Image : Paul Guilhaume.
Montage : Pierre Deschamps. Son : Ghazi El Feki, Corinne Dubien et Toni di Rocco. 
Interprétation : Olivier Rabourdin, Swann Arlaud, Phénix Brossard, Matthieu Lucci,
Augustin Raguenet, Iliès Kadri et Clément Bertani. Production : Punchline Cinéma.

Entretien avec Loïc Barché - Festival Cinemed :