Cahier critique 05/05/2017

"L’avenir c’est aujourd’hui" d’Anne Zinn-Justin

#electionpresidentielle

Ceux qui vécurent cet instant historique savent exactement où et avec qui ils se trouvaient, le dimanche 10 mai 1981 à vingt heures précises, lorsque le visage du nouveau président de la République s’afficha ligne par ligne sur les écrans de télévision, en commençant par un crâne dégarni qui pouvait d’abord aussi bien être celui de Giscard, le sortant, que de Mitterrand, qui promettait de “changer la vie” et qui fut, comme chacun sait, vainqueur du scrutin.

Si son film n’est pas directement autobiographique, Anne Zinn-Justin a été, comme tous ceux de sa génération, profondément marquée par l’événement et elle excelle à restituer ce que fut l’ambiance particulière de ce printemps électoral où les autres candidats se nommaient Georges Marchais, Arlette Laguiller ou Huguette Bouchardeau (en ces temps, le candidat-fondateur du Front national ne parvenait pas à réunir les cinq cents signatures nécessaires). L’ambition de la chronique est aussi belle que modeste, à savoir saisir ce moment d’effervescence où une adolescente s’ouvre, progressant vers l’âge adulte et découvrant ces horizons que la foi politique pouvait encore susciter – “Tout devient possible, ici et maintenant”, s’exclamait l’hymne du Parti socialiste. La bonne idée du scénario est d’avoir, au risque de tirer par la queue le diable du cliché, caractérisé la famille de la jeune Claire clairement à droite : celle-ci se construit donc en elle-même une conscience, et non par mimétisme familial. Son père, lecteur du Figaro, craint l’arrivée imminente des chars soviétiques sur les Champs-Élysées : on l’a un peu oublié, mais c’était alors précisément la posture volontiers dramatisante du camp conservateur…

L’air sembla plus léger, pour paraphraser Barbara, en ce beau mois de mai, et si les espoirs soulevés finirent par s’écraser contre le mur implacable de la réalité (et de l’argent), les esprits en furent durablement imprégnés. C’est ce que laisse entrevoir ce roman d’initiation plein de charme où une jeunesse à l’étroit s’éveille pour respirer plus amplement. Peu importent alors les anathèmes des réacs et la méfiance des “alliés” communistes (ils n’avaient d’ailleurs pas complètement tort à propos de Mitterrand, qui leur donna finalement le coup de grâce) : à la seconde même où Elkabbach et Mougeotte annoncèrent en direct, la mine contrite, le résultat de l’élection, on ne douta plus que l’avenir, enfin, c’était aujourd’hui.

Christophe Chauville

www.annezinnjustin.fr

Réalisation et scénario : Anne Zinn-Justin. Image : Sarah Cunningham. Montage : Isabelle Manquillet. Son : Pierre Bompy, Claire Cahu et Maxime Champesme. Musique : Éric Neveux. Décors : Nadine Hibon. Interprétation : Armande Boulanger, Arthur Vaughan, Agathe Dronne, Gauthier Baillot et Xavier Mathieu. Production : Moteur s’il vous plaît / Les Enragés.