Cahier critique 05/04/2017

"L’amour-propre” de Nicolas Silhol

Découvrez le moyen métrage de Nicolas Silhol, à l’occasion de la sortie de son long "Corporate". 

Recto-verso pourrait être le sous-titre de L’amour-propre, le film de Nicolas Silhol, sélectionné en 2010 à la Semaine de la critique à Cannes. Recto-verso pour cette capacité à nous montrer en un seul plan dès le début du film la dualité d’un personnage public, artiste, performer et humoriste.

Chemise noire, Daniel Schwarz nous apparaît de dos, il s’adresse au public. “T’as encore des unités sur ta carte à pute ? (…) Faudrait inscrire le droit de baiser dans la déclaration des droits de l’homme !” Le ton de son show est très clair, faisant penser à un Jean-Marie Bigard qui aurait troqué sa physionomie pour celle d’un trentenaire plus séducteur, plus sexy, la chemise déboutonnée. Face au public, il joue. Face à nous, il s’assombrit, passe brièvement la main sur le visage. A-t-il encore le goût de l’entertainment ? ou plutôt de ses à-côtés, lors des tournées : les mêmes paysages qui défilent, les mêmes chambres d’hôtel anonymes, les mêmes attachés de presse hypocrites et envahissants, le même public de fans à la sortie des représentations, les journalistes et leurs questions similaires… On sent que tout cela l’ennuie profondément.

Tel Janus, Daniel a deux têtes avec lesquelles il est obligé de vivre quotidiennement. Profondément solitaire, il ne peut s’aimer qu’à travers le regard des autres. Le public comme masse compacte, et bientôt certaines de ses fans comme individualités, mais au prix d’une violence verbale et d’une agressivité malaisante. Le prix d’une dépendance.

Nicolas Silhol aime les personnages complexes, qui jouent un rôle en public, ont du mal à s’aimer et qui par conséquent nous paraissent profondément antipathiques. Le personnage de Daniel préfigure celui d’Émilie, la responsable RH de son premier long métrage Corporate, par cette capacité à avancer masqué, à cacher toute émotion. Au cours de leurs trajectoires respectives, les deux opèrent une forme de mise à nu. Sa rencontre avec Adèle, blogueuse venue l’interviewer, lui fera tomber le masque. Leur étreinte tendre et amoureuse fait basculer le personnage dans une dimension intime qui le rend en définitive assez émouvant. L’interprétation de Xavier Gallais, qui a multiplié les rôles marquants au théâtre dans les années 2000-2010, est saisissante tant il est tour à tour inquiétant, détestable et touchant.

Tout est affaire de regard, d’interprétation. Peut-on aller au-delà du comportement de façade et des apparences ? Tout se joue entre le regard complaisant du public dont se nourrit l’acteur humoriste, et la déflagration intérieure et contradictoire de sa personnalité. Dans sa mise en scène, Nicolas Silhol utilise déjà (avant Corporate) la vidéo comme outil de révélation d’une intimité. “T’as eu ce que tu voulais ?” lance Daniel à la journaliste qui filme une altercation avec une fan lors d’une soirée. C’est après avoir montré à la caméra sa face la plus sombre qu’il pourra peut-être envisager de reconstruire la réalité de ses sentiments.

Bernard Payen

Réalisation et scénario : Nicolas Silhol. Collaboration à l’écriture : Nicolas Fleureau. Image : Claudine Natkin. Montage : Florence Bresson. Son : Antoine Corbin, Bruno Reiland et Grégoire Bourdeil. Musique : Alexandre Saada et Grégoire Bourdeil. Décors : Nathalie Rousseau et Citronelle Dufay. Interprétation : Xavier Gallais, Ophélie Bazillou, Margot Abascal. Production : Kazak Productions.