Cahier critique 28/08/2019

“L’amie du dimanche” de Guillaume Brac

Le premier des rohmériens Contes de juillet de Brac.

Prix Jean-Vigo du court métrage en 2018, L’amie du dimanche procède de la même expérience que Hanne et la fête nationale avec lequel il sortit en salles à l’été 2018. Soit deux films d’ateliers, écrits avec des élèves de deuxième année du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, étudiants dont la personnalité, les goûts, les expériences, inspirèrent un cinéaste n’aimant rien tant que puiser dans le réel pour dessiner ses personnages.

Puisque le projet se posait, pour les élèves, en expérience de jeu, puisque l’on ne savait à son entame s’il donnerait un film exploitable et certainement aussi parce qu’à ce moment-là Guillaume Brac n’avait pas tourné depuis longtemps (depuis Tonnerre, son premier long), le cinéaste semble le prendre comme tel, comme une variation sans conséquence où il peut s’appuyer sur un mode narratif éprouvé et se confronter à un modèle admiré dont on lui renvoie souvent le nom depuis Un monde sans femmes, le beau moyen métrage qui le fit connaître.

L’amie du dimanche sera donc un exercice d’admiration rohmérien, référence assumée dévoilée dès le titre-même, que redoublera d’ailleurs son exploitation en salles avec Hanne et la fête nationale sous l’intitulé explicite – après le Conte d’été de 1996 – des Contes de juillet.

Guillaume Brac, en cet été 2016, pour sortir ses jeunes comédiens de théâtre de leurs repères, de leurs habitudes, prend même le parti de tourner là où Rohmer situa une bonne partie des scènes de L’ami de mon amie en 1987 : la base de loisirs de Cergy-Pontoise. Celle-là même qu’il fréquenta un peu enfant et qui lui inspire, dans le même temps, un projet de documentaire (documentaire qu’il filmera l’été suivant et qui sortira aussi en salles à l’été 2018 sous le titre de L’île au trésor). 

On sait comme les longues discussions menées avec des jeunes femmes participaient de la méthode d’écriture d’Éric Rohmer. En travaillant de concert avec ses jeunes comédiens, Guillaume Brac s’en rapproche. Le résultat enchante quiconque fut sensible à la petite musique des « Contes des quatre saisons » ou des « Comédies et proverbes » pour dépasser largement le strict cadre du film d’atelier, comme en témoignera ensuite le succès rencontré en festivals.

Dans L’ami de mon amie, Blanche et Léa vivaient à Cergy-Pontoise. Dans L’amie du dimanche, Milena et Lucie – actrices et personnages – ne sont que de passage aux abords de cette ville de banlieue qu’elles n’habitent pas : à l’instar d’un Guillaume Brac venant sur la pointe des pieds visiter un film révéré et, par-là,  le cinéma de son aîné.

Espace des vacances, de la vacance, lieu hors du temps, telle est la base de loisirs où Milena et Lucie s’échappent en RER depuis Paris en ce dimanche ensoleillé. Les voilà enlevées à ce cadre professionnel (un magasin de chaussures) dans lequel toutes deux étaient saisies à l’entame du film, les voici arrivant dans l’espace des possibles, dans l’espace de la fiction, où, loin des contingences matérielles (travailler la semaine, gagner son salaire), toutes les rencontres, toutes les aventures paraissent permises.

Dans ce décor faussement sauvage, il s’agit d’éprouver une liberté nouvelle, de se laisser tenter, de s’éloigner des sentiers autorisés (dès leur arrivée, Milena aimerait, c’est significatif, se baigner dans une zone interdite). Et les hommes qu’elles y rencontrent, agent de prévention hâbleur et dragueur ou escrimeur timide et lunaire, les y encouragent plus ou moins directement : voilà les filles se retrouvant sur des skis nautiques ou à manier le fleuret, images dérisoires d’aventures et de défis physiques jusqu’alors insoupçonnés. Ça sera ensuite, pour Milena, une comédie de la séduction avec Jean, le surveillant, qui l’emmène, tel un flibustier du dimanche, sur une île pour une échappée évoquant Partie de campagne. Ce sera pour Lucie, la plus fragile des deux, une rencontre sur une colline de fortune avec un aventurier d’opérette échappé d’un film de cape et d’épée, puis une discussion tendre et courtoise, surtout, augurant déjà de beaux lendemains.

C’est à travers ces rencontres, ces figures masculines secondaires mêlant pathétique et fantaisie, que Guillaume Brac (qui tournait là son premier film ancré à un point de vue féminin) trouve sa voie propre et que son film respire aux quatre vents sans plus avoir besoin de ses béquilles citationnelles. Et le cinéaste de se tourner incidemment vers le film à faire (L’île au trésor, tel un contrechamp) plutôt qu’à nouveau vers celui (de Rohmer) qui d’abord l’inspira…

Stéphane Kahn

Réalisation et Scénario: Guillaume Brac. Image : Alan Guichaoua. Son : Emmanuel Bonnat. Montage : Louise Jaillette. Interprétation : Milena Csergo, Lucie Grunstein, Jean Joudé, Kenza Lagnaoui et Théo Chedeville.
Production : Bathysphère Productions.