Cahier critique 26/07/2022

“L’ami de vacances” d’Antoine du Jeu

Fleurs et valises à la main, Aurélien débarque à Paris pour retrouver Fanny. Impossible pour lui d’oublier l’été qu’ils ont passé ensemble. Le souci, c’est que Fanny vit avec son copain et qu’elle n’avait pas vraiment prévu l’arrivée de ce flirt de vacances.

Avec son titre délicieusement rohmérien, L'ami de vacances nous emmène à Marx-Dormoy, dans le nord de Paris, avec Aurélien (Quentin Dolmaire), fraîchement débarqué à la capitale et venu retrouver, un bouquet de fleurs jaunes parfaitement anachronique à la main, Fanny, son amourette de vacances. La réactivation du flirt estival ayant vite échoué (Fanny a quelqu'un d'autre dans sa vie), Aurélien se greffe alors à leur colocation. Dans cette bulle mi-intello, mi-bouffonne, le film enfile les séquences dialoguées entre les nombreux personnages comme autant de scènes où se jouent des micro-événements, se réajustent les pensées, se découvrent les uns et les autres par le prisme de l'art, de la comédie ou du vaudouisme alcoolisé. Antoine du Jeu déploie peu à peu une grâce quotidienne qui naît par les croisements d'une grande qualité de dialogue et d'une attention émue à absolument tous ses personnages.

En ouverture du film, quand on prend en photographie le sexe moulé dans un caleçon blanc, il est question de comment aborder le sujet, comment mettre en scène : la nudité, la violence, la façon dont on montre. C'est aussi l’interrogation globale du film qui avance avec ses discours pluriels et fait succéder ses registres, une œuvre qui tâtonne dans l'obscurité et l'ambiguïté des sentiments amoureux et amicaux. L'ami de vacances capte ainsi un sentiment post-estival diablement fragile, à la mélancolie désabusée. Quentin Dolmaire (Trois souvenirs de ma jeunesse d'Arnaud Desplechin, notamment), notamment dans un très beau monologue ivre, y est pour beaucoup dans cette peinture quotidienne d'un certain dépit. En témoigne le rêve dont il est question dans le film : une scène où Aurélien se fait voler valises et portefeuilles devant son cotonneux renoncement. Il ira jusqu'à donner de son propre chef son typique manteau rouge bédéesque. Il y a en effet une forme de résignation dans le film, éclatante quand elle trouve son chemin, sa voix.

Ce que le film met en scène avec subtilité est d'une simplicité renversante de beauté : faire le deuil, c'est naître à nouveau. Et rien de plus dur que de faire le deuil des vacances à cet âge-là, emportant avec elles l'allégresse des flirts. Entre deux boîtes aux lettres, la gêne délicate des nouveaux premiers émois vient alors surprendre tout le monde. Tout se joue dans un champ-contrechamp au tempo parfait. Au revoir les vacances, sans regrets.

Arnaud Hallet

France, 2020, 30 minutes.­
Réalisation : Antoine du Jeu. Scénario : Antoine du Jeu. Image : Maéva Bérol. Montage : Yann Ducreux. Son : Guilhem Domercq et Nathan Robert. Musique originale : Déborah Bombard-Golicki. Interprétation : Quentin Dolmaire, Fanny Chaloche, Annabelle Martella, Paolo Jacob, Théophile Fontaine et Gabrielle Varoquier. Production : Limagorium et Les Films des Gerry.