“L’accordeur” d’Olivier Treiner
Adrien est un jeune pianiste prodige. Il s’est effondré psychologiquement après avoir échoué à un concours de renom et travaille désormais comme accordeur de piano. Comme remède à cette vie, il s’invente un masque d’aveugle pour pénétrer l’intimité de ses clients.
L’incertitude n’existe plus. Dès les premières minutes de L’accordeur, l’avenir est scellé d’un sceau fatal et imminent. Les cadres sont fixes, composés rigoureusement autour de lignes élémentaires, tandis qu’une voix, celle du narrateur, s’élève en “voix over”, comme déjà partiellement affranchie de son corps. Un moment de pause, de suspension avant l’inéluctable, le calme avant la tempête.
Le court métrage d’Olivier Treiner, en prenant le parti d’ouvrir sur son temps fort, renverse le schéma du polar classique. En effet, alors que le crime est traditionnellement l’apogée d’un chaos destructeur ayant pris le pas sur l’ordre ordinaire et établi, celui de L’accordeur devient un point de repère, l’occasion de revenir sur les rouages ayant présidé à sa réalisation. Paradoxalement, le crime devient donc le point d’orgue d’un ordre funeste et implacable que le film s’attelle à mettre au jour, explorant le glissement imperceptible du chaos des contingences ordinaires à l’accomplissement d’un destin.
L’énigme ne réside alors plus pour le spectateur dans ce qui va advenir, mais dans la manière dont c’est advenu ; le questionnement prend ainsi le tour d’un raisonnement plutôt que d’une spéculation et convoque un regard neuf sur les événements. Déduction et anticipation deviennent les moteurs de la tension narrative ; chaque élément susceptible de faire basculer le cours des choses attise l’attention du spectateur averti qui, tenu en équilibre entre sa connaissance rationnelle et son désir instinctif de voir le sort démenti (aussi peut-il tout aussi bien refuser d’entendre le tir précédant le titre), frémit, impuissant, devant la toile qui se tisse et se referme peu à peu sous ses yeux.
Et, cruelle et ingénieuse mise en scène, son cœur se serre lorsque, sur l’écran, s’incarne enfin son impuissance. Assis au piano, le narrateur, Adrien, joue. Derrière lui, la femme est immobile ; il sait qu’elle sait et son sort lui fait face, assis sur le canapé. Et les notes s’égrainent, écrites, jouées, déjà vouées à disparaître.
Claire Hamon
France, 2010, 14 minutes.
Réalisation, scénario et musique : Olivier Treiner. Image : Julien Roux. Montage : Jean-Baptiste Beaudoin. Son : Nicolas Waschkowski et Julien Perez. Interprétation : Grégoire Leprince-Ringuet, Grégory Gadebois, Danièle Lebrun et Émeline Gue. Production : 24 25 Films.