Cahier critique 08/11/2017

“Kill The Day” de Lynne Ramsay

Avant le vétéran brutal d’“A Beautiful Day”, actuellement en salles, Lynne Ramsay mettait en scène un délinquant perturbé dans ce court primé à Clermont-Ferrand en 1997.

Kill the Day est l'exemple type du film qui a bien assimilé quelques données de l'histoire du cinéma – telles l'impressionnisme du muet ou la déconstruction du récit telle qu'elle se pratiquait dans les années 1960 – pour les intégrer à une trame contemporaine : quelques grappes d'instants piochés dans la vie d'un jeune homme, James Gallagher, un petit délinquant. Après une première vision du film, on a du mal à déterminer le temps de la narration. Est-ce que James se souvient de sa vie d'individu libre alors qu'il est en prison ou inversement ? La réalisatrice utilise, sans césures particulières, divers instants de la vie du protagoniste, non pour disloquer d'une manière visible le récit comme le fit en son temps Alain Resnais dans Muriel, mais parce que c'est ce type de langage qui convient le mieux au projet filmique : rendre palpable, par un jeu de flash-back qui ne se donne pas comme tel, le désarroi existentiel de James. Entre le lit de la prison et celui de sa chambre, lieux privilégiés de prostration et de réflexion du jeune homme, il n'y a guère que quelques petites différences de décor. Sa tête est remplie des mêmes souvenirs : les petits casses dans les vestiaires, le tri des sachets de drogue dans les toilettes, le marchandage devant la voiture des dealers... Tous ces éléments, issus des codes des polars, ne se dialectisent pas, ils ne débouchent pas sur un thriller. Ils servent à décrire, dans le savant désordre dans lequel les a mêlés Lynne Ramsay, la géographie mentale perturbée d'un jeune homme de Glasgow pris entre les rets délétères de ce qui forme le banal quotidien des jeunes pauvres des villes.

En revoyant Kill the Day, on est quasiment certain que le présent du film se déroule après la sortie de James de prison où ses divers larcins l'ont conduit. Mais rien n'est joué pour lui, car il n'a pas d'autres moyens pour survivre que d'emprunter des chemins de traverse. Donc, pour être plus exact, on peut affirmer que James fait le point, par images fugaces interposées, sur sa situation : présent, passé et futur ont sensiblement la même texture pour lui. Au milieu de ce maelstrom d'images aux statuts proches, surgissent d'autres plus cryptées renvoyant à l'enfance sombre de James qui aurait poussé un homme à l'eau. Les plans de ce choc traumatique sont fugaces et peu explicites, la réalisatrice ayant sûrement refusé de les surdramatiser pour leur laisser ce caractère brut, inachevé, comme purement fantasmé.

En travaillant plus au niveau des plans qu'à celui des séquences, Lynne Ramsay a su créer une atmosphère lourde, presque moite, physique. Kill the Day, en refusant de développer linéairement les éléments de sa fiction, contourne les lieux communs que ce type de sujet induit obligatoirement pour nous offrir ce qu'on peut appeler un cinéma de poésie, un cinéma en cout cas qui convient parfaitement au film de format court.

Raphaël Bassan

Article paru dans Bref n°34, 1997

Réalisation et scénario : Lynne Ramsay. Image : Alwin Kuchler. Son : Cath Patton. Montage : Lucia Zucchetti. Interprétation : James Ramsay. Production : Lazennec tout court / Bertrand Faivre / Holy Cow Films.