"Junior" de Julia Ducournau
De ce court à son premier long métrage “Grave”, Julia Ducournau explore le cinéma fantastique.
Si Grave a vu sa réputation, volontiers sulfureuse, grossir à partir de sa première mondiale à la Semaine de la critique en 2016, la tonalité du film n’étonna guère ceux qui avaient découvert Julia Ducournau à travers son court métrage Junior, au même endroit cinq ans plus tôt. De nombreuses similitudes rapprochent naturellement les deux films, dont le personnage principal, Justine, est à chaque fois interprété par la jeune Garance Marillier et où le corps et ses transformations non maîtrisées, “monstruosités” et secrétions y compris, trouvent une place capitale, pour une variation lorgnant vers le cinéma de genre, tant fantastique qu’horrifique, sinon carrément gore.
Ce que l’on appréciait avant tout dans Junior, c’était cette volonté de se coltiner à l’adolescence dans ce qu’elle a de moche ou d’écœurant : les boutons gonflés de sébum sur le visage, les cheveux gras, les appareils dentaires où s’accumulent les reliquats du repas... L’âge ingrat tel qu’un Todd Solondz avait pu l’aborder1 ne s’invite pas si fréquemment dans le cinéma français, même dans le court métrage où le motif est pourtant récurrent. Et, loin des lolitas apprêtées, Justine dite Junior apparaissait comme un indécrottable garçon manqué : cheveux tirés et fringues informes, blaguant et rotant avec les copains, faisant le coup de poing à l’occasion... Mais le surcroît d’intérêt de la démarche de la réalisatrice débutante était d’envisager la puberté touchant la gamine de treize ans de manière insolite, selon le Tchernobyl hormonal s’apprêtant à métamorphoser son corps.
Alors que Junior se sent patraque, on lui diagnostique une gastro, et carabinée – pas question de renier le registre scato et potache assumé –, mais il se passe bientôt de drôles de choses sur sa peau, comme une mue, des craquements vraiment angoissants qu’on croirait venus de la première période de la carrière de Cronenberg, expert ès mutations corporelles. L’habileté de Julia Ducournau est d’équilibrer sa narration en revenant vers la comédie à la faveur du retour de Justine guérie dans sa classe. On mesure alors à quel point c’est un changement décisif dans le regard – à la fois celui des autres et celui que l’on porte sur soi-même – qui s’attache étroitement aux bouleversements de l’adolescence. D’un jour à l’autre, rien n’est plus tout à fait pareil et la façon décomplexée de représenter ce voyage sans retour est des plus marquantes.
1. Bienvenue dans l’âge ingrat (Welcome to the Dollhouse en VO) était sorti en 1996.
Christophe Chauville
Réalisation et scénario : Julia Ducournau. Image : Claudine Natkin. Montage : Jean-Christophe Bouzy. Musique : Mathieu Gauriat. Décors : Pascal Regbi. Son : Antoine Corbin, Bruno Reiland et Ivan Gariel. Interprétation : Garance Marillier, Yacine N'Diaye, Aude Briant et Bernard Blancan. Production : Kazak Productions.