Cahier critique 26/12/2018

"Joyeux Noël" de Gilles Marchand

Croyez-vous au Père Noël ?

On s'introduit dans ce modeste meublé avec le sentiment malaisé de ne pas y avoir été convié de bon cœur, de bousculer l'ambiance “très famille” d'une soirée de réveillon.

Joyeux Noël se présente comme un film d'intérieurs, presque désaffecté, que rien ne vient vraiment réchauffer, pas même la cheminée du salon, prisonnière d'un vitrage qui lui donne un faux air de micro-ondes. Les enfants piquent du nez dans leur assiette et les parents ont le verre de vin facile. Tout ce petit monde savoure le plaisir d'être ensemble, mais prend bien garde à ne rien dire des choses qui fâchent. Une veillée bien ordinaire en somme. La mise en scène de Gilles Marchand mesure sa réussite à ces plans rapprochés de visages qui sont autant de moments purs où l'œil de la caméra capte le jeu hésitant, mais authentique, des interprètes. Si bien que le naturel, peut-être trop criant, saute aux yeux du spectateur. La sonnerie du téléphone raisonne soudain, semblable à un appel d'imaginaire ; c'est le Père Noël du Géant Casino qui s'excuse de ne pouvoir assurer la livraison de la “commande”. À l'autre bout du fil, le plaisantin de la famille ne se démonte pas : “Mais la gentille petite fille, elle en a rien à foutre de vos problèmes merdiques de stock et d’informatique, elle a été très sage. Elle veut sa poupée ce soir.

À sa manière de ramener les choses à leur dimension triviale, le film court le risque de sa propre désinvolture, quand chaque scène semble annoncer sa propre fin et qu'arrive alors celui dont on n'attendait plus la venue, houppelande rouge et barbe blanche, à qui l'on propose de boire le coup de l'amitié, à l'heure où la maisonnée est déjà endormie. C'est une flûte de champagne sifflée d'un trait, un chocolat fondant dans la bouche, une photo-souvenir devant un sapin de Noël dégarni, des petits riens qui nous hantent sans raisons et nous renvoient à une obscure intimité, au néant de nos vies intérieures.

Et c'est pourquoi Joyeux Noël échappe à toute évocation ; il résiste à son propre mouvement pour se confondre finalement avec cette chose délicate qu'est le cinéma. L'étrangeté de l'image se donne alors pour ce qu'elle est : une surface impressionnée, fantomatique à travers laquelle se manifestent les figures d'une nuit profonde et évanouie, le temps d'une respiration monstrueuse au-dessus de leur fière solitude.

Vincent Vatrican

Article paru dans Bref n° 21, 1994.

Scénario et Réalisation : Gilles Marchand. Image : Laurent Cantet. Montage : Dominik Moll et Thomas Bardinet. Son : François Maurel. Interprétation : Philippe Praliaud, Yolande Praliaud, Jean Praliaud, Marc Darnault, Armande R. Galloway et Anne R. Galloway. Production : Sérénade Productions.