Cahier critique 08/12/2016

"Journal" de Sébastien Laudenbach

À la première personne, les débuts remarqués de l’auteur du beau long métrage d’animation "La jeune fille sans mains".

Sébastien Laudenbach fait le pari de réaliser un journal filmé selon les techniques du film d'animation. L'auteur en respecte les règles, telles qu'elles ont été établies par des gens comme Jonas Mekas ou Joseph Morder : mini-séquences illustrant un fait précis (d'ordre affectif ici), voix off commentant les événements, délimitation du projet dans le temps (octobre 1996-mars 1997). Les dessins et peintures sont hétérodoxes : fusain, aquarelle, crayon, noir et blanc ou couleurs vives...

Le film commence et se termine dans une salle de cinéma : le narrateur rencontre Anne avec qui il vivra une brève passion. Deux autres femmes, Dorothée, qu'il connaissait déjà et avec qui visiblement il renoue, et Lise, remplissent la majeure partie de l'espace de ce journal. Pour donner l'équivalent graphique des Diaries de Mekas qui utilise les plans brefs, le montage rapide, la surimpression, le flou (techniques qui ont été puisées elles-mêmes dans les arts plastiques), Laudenbach fait aussi bien appel à des images illustratives, que symboliques ou abstraites, prenant plus ou moins de distance avec ce qui est raconté sur la bande son. Lorsqu'au début, il dit avoir revu Anne, on voit une jeune fille nue se lover sur un lit. Lorsqu'il reçoit une lettre de la première femme qu'il a aimée, un enfant en pleurs sort d'une enveloppe. Quand il signale la mort d'un de ses professeurs de dessin, on voit une toile abstraite de deux couleurs d'où s'envole un furtif corbeau. L'auteur se représente aussi sous forme de dessin à traits.

Les événements affectifs, doublés de quelques scènes familiales, sont souvent parasités par des faits d'actualité : une manifestation (représentée par une kyrielle de petits visages ronds) ou un des attentats du RER, rendu sobrement par une équivalence tout à fait en phase avec le sujet : deux bougies qui s'éteignent. Le cinéaste ne s'en tient pas là et ajoute des séquences en forme de réflexions (théoriques ?) sur son travail. Il introduit, par exemple, dans ce corpus un film qu'il a fait pour l'anniversaire de Dorothée, nonsensique et grinçant comme les premiers dessins de Borowczyk, et, aussi, un petit film (chaque opus dure quelques secondes) de commande sur une jeune écuyère tuée par un dompteur d'ours. Dans ce dernier cas, le spectateur averti peut déceler une référence (consciente ?) au film Cassis que Jonas Mekas introduisit dans son Diaries, Notes and Sketches (1968), mais qui fut aussi présenté séparément. La fin nous montre l'auteur cartoonisé en train de filmer le journal qu'il vient de nous présenter.

Journal est un vrai bijou d'inventivité où les événements évoqués par la voix off donnent lieu à une multiplicité d'essais graphiques pour le plus grand plaisir des yeux et de l'esprit du spectateur.

Raphaël Bassan

Article paru dans Bref n°38, 1998.

Réalisation, scénario et image : Sébastien Laudenbach. Son : Marc Nouyrigat et Pascal Ribier. Montage : Nathalie Langlade. Production : Magouric Productions.