Cahier critique 27/01/2017

"Journal animé" de Donato Sansone

En lice pour les César 2017.

Après l’attentat contre Charlie hebdo, Canal+ a lancé la collection « Dessine toujours » afin que par le dessin, par le cinéma via les ondes cryptées de la chaîne, se perpétue « l’esprit Charlie ». On ne pouvait trouver meilleure idée que faire appel à l’un des vidéastes les plus talentueux de notre époque, l’Italien Donato Sansone. Ses expérimentations vidéo notamment Videogioco, l’œuvre virale qui l’a rendu célèbre sur internet, donnent un bon aperçu de cet artiste génial : des traits noircis au crayon et un penchant régressif et sympathique, constant voire obsessionnel pour La Chose, qui évoquent immédiatement le cinéma de Bill Plympton, une pratique mêlée et spontanée de la vidéo et de l’animation, entre performance, street art et home movie, qui le rapproche de l’artiste Blu et enfin, picturalement, des mises en abyme ou en relief de la matière, qui suscitent une déconstruction des visages et des corps à la manière de Picasso, période cubiste, ou des flous alcoolémiques de Francis Bacon.

Confier à cet artisan au style incisif et renversant le soin de signer l’un des films de l’après-Janvier 2015 ne pouvait que mettre l’eau à la bouche. Hasard du calendrier : Journal animé a été fabriqué en deux mois, entre le 15 septembre et le 15 novembre 2015. D’un attentat à un autre. Pas le même certes. Mais un même sentiment : celui de l’horreur entrée par la petite porte de notre quotidien. Et c’est cette porte que le vidéaste Donato Sansone détourne dans Journal animé en se servant des pages de Libération comme support d’expression et des cadres où gisent ses images comme l’encrier matrice de ses élucubrations ludiques, lubriques et politiques. Ici deux traits font apparaître une moustache d’Hitler, là une femme se déshabille. L’artiste se livre à un jeu d’enfant que l’on a tous un jour ou l’autre pratiqué : il gribouille (avec un immense talent) l’actualité sur un quotidien que l’on dit sur son lit de mort. Une morbidité fondue dans une sexualité malade embrase les pages de ce film. Sansone charge les images d’une dimension trash aux contours burlesques. Son geste artistique s’apparente à celui d’un illusionniste qui ne cesse de faire naître ou de dissimuler des images, des visages pour construire un sens nouveau.

Entre disparition et apparition, un détour par le site Viméo de l’auteur s’impose. On y découvre une séquence de ce film, mais celle-ci a été retranchée, car jugée politiquement incorrecte : elle associait le pape à la pédophilie. Censuré par l’auteur (ou par d’autres, on ne sait*), ce Journal animé ne peut alors s’envisager que comme un film sur l’image volée-voilée, la séquence absente. Un film libre auquel on aurait taillé les ailes. Voilà une « drôle » de carte de vœux de l’après-Charlie. Drôle entre guillemets. Après Charlie, on « dessine toujours », mais pas tout. Ce n’est plus possible. Alors oui, Journal animé est un film comique, comique au sens où il procède de ce que Chris Marker nommait « la politesse du désespoir » et réserve en lui une dimension cachée, un humour noir conscient de la perte, de la tragédie du présent.

Donald James

Le producteur du film nous apprend que la scène “censurée” sur le pape et la pédophilie a été réalisée après la fin du film par son auteur facétieux ! 

Réalisation, scénario, animation et compositing : Donato Sansone. Montage : Donato Sansone et Nicolas Schmerkin. Musique et son : Enrico Ascoli. Effets spéciaux : Manuel Rais, Damien Climent et Clément Ducarteron. Production : Autour de Minuit Productions et Canal+.