Cahier critique 01/01/2017

"Jeux de plage" de Laurent Cantet

Quelques années avant la Palme d’or d’"Entre les murs", Laurent Cantet met en scène la complexité du lien père / fils sur fond de premiers émois adolescents.

Le plus réussi du précédent film de Laurent Cantet, Tous à la manif, tenait sans conteste à ce qui se jouait dans les rapports entre le père, patron d'un bistrot, et son fils, qui faisait office de garçon de café. Cette situation qui imbriquait un lien familial lourd d'un arriéré de non-dits et la relation professionnelle d'un patron avec son apprenti, se fracturait par l'intrusion des jeunes en grève d'un lycée voisin. Jeux de plage renoue avec une question voisine. Le film commence dans le cadre banal de vacances familiales. Le père, non loin de la cinquantaine, physique quelconque, s'échine, en plein soleil, à malaxer à la pelle du ciment qu'il a préparé. Sa femme, sur une chaise longue, un polar à la main, se disant “fatiguée de le voir travailler”, lui reproche de n'avoir pas appelé leur fils, Éric, pour l'aider. “Si à son âge il n'est pas capable de voir qu’on a besoin de lui...” (cité de mémoire).

La qualité première du film de Laurent Cantet, partant de cette scène non dénuée d'humour – apparemment une habituelle tension entre le père et sa progéniture – semblant épouser la trajectoire d'une chronique naturaliste de bon aloi, est de nous entraîner progressivement dans des eaux plus sombres et plus troubles, aux couleurs de nostalgie, de voyeurisme, d'érotisme, d'envie... Encore convient-il d'avancer ces mots avec prudence, au risque de perdre le flou de sensations, d'impressions jamais clairement exprimées. Laurent Cantet montre des corps – l'opposition physique du père et du fils en dit long –, des jeux de regards, des déplacements dans l'espace – ah ce moment où Éric plonge pour atteindre l'autre côté de la baie par la mer, avant les autres –, des errances nocturnes, des baignades d'adolescents au petit matin. L’ombre de Gombrowicz plane, mais il est ici question d'un père qui, toute une nuit, accompagne de loin son fils en sortie avec d'autres adolescents, le regarde à la dérobée, sans que jamais on puisse décider s'il s’agit d'une perversion, d'une tendresse mal placée, d'un regard d'adieu. Et nous oscillons, passant du sourire à la gêne, de la honte à l'attendrissement, et cela, jusqu'au bout, sans pouvoir imaginer jusqu'où nous conduira le film.

Nul mieux que le cinéma n'est apte à dépeindre les mues, les passages, la poussée irréversible du temps. Jeux de plage en offre une nouvelle fois la preuve. Après cette nuit, entre le père et le fils, rien ne sera jamais plus comme avant.

Jacques Kermabon

Article paru dans Bref n°28, 1996.

Réalisation et scénario : Laurent Cantet. Image : Pierre Milon et Catherine Pujol. Montage : Thomas Bardinet et Tatjana Jankovic. Son : François Maurel et Camille Chenal. Interprétation : Jalil Lespert, Jean Lespert et Julia Minguet. Production : Sérénade Productions.