Cahier critique 26/03/2024

"Jeudi, vendredi, samedi" de Arthur Cahn

L’usine où travaillent Romain et Adémar a pris feu, ils décident alors de profiter ensemble de trois jours d’oisiveté dans la douceur de l’été.

Réalisateur, scénariste, monteur, compositeur, romancier, et parfois acteur (dans son opus précédent Herculanum, 2016), Arthur Cahn a plus d’une corde à son arc. Ce spectre large et stimulant débouche sur ce court métrage réjouissant. Le dernier à ce jour pour l’auteur, qui planche aussi sur l’écriture d’un premier long. Alors qu’il enchaîne les travaux dans la vie réelle, en œuvrant également comme coscénariste pour Jérémie Elkaïm (Ils sont vivants) ou Olivier Peyon (Arrête avec tes mensonges !), il prône ici le farniente. L’un des deux héros de son film lance d’ailleurs à l’autre : « C’est pas si mal de rien faire (…). Ça te dit, demain, de rien faire ensemble ? ». Invitation cocasse et amicale, qui traduit bien le ton de l’univers du cinéaste. Frontalité et humour du quotidien se donnent la main. Partant d’une situation concrète – la fermeture d’une usine pour cause d’incendie –, le récit prend un chemin de traverse. Un moment de vacance imprévue, trois jours de loisir durant lesquels deux collègues de travail se rapprochent. Cette histoire d’amour naissante prend la forme ludique et poétique du conte. Au générique final, le réalisateur, d’ailleurs, se dit inspiré par les auteurs pour enfants Maurice Sendak, Arnold Lobel et Alan Alexander Milne.

Malicieusement, trois chapitres se succèdent, comme une sorte de comptine. Ils avancent, égrainés d’un bestiaire (escargot, scarabée, écrevisse, lapin, araignée), d’une baignade, d’une recette de gâteau (le cookie, version revisitée du cake d’amour du Peau d’âne de Demy), d’une fièvre, et d’une lettre, au son des notes d’un xylophone. Pas de gras dans l’écriture. Arthur Cahn concentre narration, dialogues et montage sur l’enchaînement des scènes dans la simplicité. Les échanges n’en sont que plus saillants. « Je me suis senti très éveillé ces trois jours avec toi… », déclare Romain à Adémar quand il émerge de sa léthargie. Il y a de la douceur sur l’humanité, et de la majesté sur la nature, au fil de ce compagnonnage occitan. Tourné dans l’Hérault, notamment autour du lac du Salagou et du cirque de Mourèze, entre ciel, terre et eau, le film chante le soleil qui réchauffe les cœurs et les corps, dans des tons vivifiants d’épanouissement estival. Les regards sont pudiques, les rencontres drolatiques, et les corps généreux dans leur diversité. Jeudi, vendredi, samedi trouve sa place quelque part entre Jean Cocteau, Alain Guiraudie, João Pedro Rodrigues et Agnès Varda et diffuse son charme bienveillant.

Olivier Pélisson

France, 202, 20 minutes.

Article paru dans Bref n°128, 2023.

Réalisation, scénario, montage et musique originale : Arthur Cahn. Image : Benjamin Rufi. Son : Ludovic Élias, Renaud Bajeux et Paul Jousselin. Interprétation : Quentin Fébié, Pierre-François Doireau, Claïna Clavaron et Fama Koita.
Production : Yggdrasil Pictures et Films Grand Huit.