Cahier critique 04/09/2019

“Jamais jamais” de Erwan Le Duc

Avant Perdrix, un duo de “poulets” au féminin !

Après Le commissaire Perdrix ne fait pas le voyage pour rien (2011), inégale mais très prometteuse comédie décalée dans laquelle un duo de flics lunaires mène l’enquête, Erwan Le Duc creuse la veine policière avec Jamais jamais. L’occasion pour le réalisateur de faire passer ses personnages d’un désert à l’autre en banalisant volontairement le lieu de la (non)action dans ce nouvel opus : un commissariat de province durant le week-end de Pâques. Où l’on découvre un nouveau duo de policiers, mais féminin cette fois ; les lieutenants Ruiz et Arpinon, le feu et la glace, vont vivre une permanence qui va les mettre à nu, au propre comme au figuré.

Ce dérivé du classique good cop/bad cop fonctionne à merveille dès l’entame du film grâce à des dialogues incisifs et aux deux comédiennes éblouissantes. Julie-Anne Roth est Françoise, l’aînée déjantée, Maud Wyler est Clémentine, la sage icône. Même si l’idée scénaristique qui consiste à interchanger tout ou partie de la personnalité des protagonistes n’est pas inédite, Erwan Le Duc en maîtrise les subtilités ; la pratique de l’humour absurde et décalé requiert une justesse et un souci du détail qui fait défaut à de nombreux prétendants.

Jamais jamais, au-delà d’enchaîner répliques acerbes et situations burlesques hilarantes, fait le portrait touchant de deux femmes confrontées à la maternité, et à son formatage par notre société. Une séquence – la plus réussie du film – fait tomber les masques ; censé intervenir suite à une plainte pour tapage nocturne, le duo s’invite à une fête orgiaque aux allures felliniennes, peuplée d’une nouvelle génération à faces d’animaux qui se déchaîne sur fond de “Je t’obéis” de Sexy Sushi. Une échappée scénaristique et de mise en scène qui offre au duo un espace de liberté intemporel, creuset de toutes les mutations. Les deux flics redeviennent des femmes qui aimeraient en découdre physiquement avec tous ces petits jeunes, et avec le poids de leur existence par la même occasion.

Jamais jamais est un film canaille et élégant, absurde et profond, drôle et mélancolique. Dans tous les cas, il en restera toujours, toujours, quelque chose d’ancré en nous.

Fabrice Marquat

Article paru dans Bref n°114, 2015.

Réalisation et scénario : Erwan Le Duc. Image : Alexis Kavyrchine.
Montage : Julie Dupré. Son : Luc Meilland. Interprétation : Maud Wyler, Julie-Anne Roth,
Eddie Chignara, Rose Fagot, Alexandre Steiger et Jacques Lafolye. Production : 10:15 Productions.