“In Transit” de Cédric Klapisch
Prix spécial du jury au Festival international du court métrage de Clermont-Ferrand 1987.
In Transit est le premier court métrage de Cédric Klapisch. Réalisé tandis qu’il termine ses études de cinéma à l’Université de New York, c’est un film atypique au regard de l’œuvre qui suivra, laquelle – jamais cynique, volontiers tournée vers le groupe, la communauté, l’entraide – ne sera plus jamais aussi inquiète qu’elle le fut lors de ces brillantes prémices.
Fable absurde aux échos kafkaïens, In Transit se situe aux abords d’une grande ville dont le dialogue nous explique qu'y transitent chaque jour plusieurs millions de voyageurs. De fait, le film s'ouvre avec un avion qui atterrit et s’achève avec un autre qui s'envole. Entre les deux plans, plusieurs jours ont passé. Mais, dans la vie de Pavlovsky, s'est-il réellement passé quelque chose ? Le problème de Pavlovski, anti-héros du film et musicien de son état, c'est qu'il rate, dès les premiers plans, son avion, se retrouvant condamné, sans bagages, à demeurer dans cette zone de transit à côté de l'aéroport. Dans un hôtel qu'il ne veut pas quitter tant qu’un vol de remplacement ne peut l’emmener. Plus tard, les notes obsédantes jouées par un orchestre tzigane qu’il croit entendre en ville (apparition fugace, fantasmatique, de trois musiciens, où l’on reconnaît Klapisch lui-même et, pour l’anecdote, le futur cinéaste Todd Solondz) le ramenant toujours – comme, plus loin, ce plan conclusif d’émancipation illusoire sur une barque amarrée au rivage – à l’impossibilité de fuir.
Pavlovsky est donc prisonnier d'un film où il ne veut pas figurer, d'un espace cinématographique mythique – New York – qu'il ne veut pas investir. On ne peut d’ailleurs que remarquer comme le regard du cinéaste est tout sauf celui du touriste, comme il prend le parti de ne pas filmer les lieux les plus connus, comme il entend démystifier "Big Apple", se raccordant ainsi au regard neutre et désintéressé d’un personnage de passage.
Les jours passant, ce protagoniste falot, presque invisible et dont tout le monde écorche le nom, s'aventurera pourtant jusque dans Manhattan (non parce qu’il le décide mais parce qu’on lui offre, en dédommagement, un tour de bus touristique gratuit). Il entamera, contre toute attente, une timide idylle avec la femme de chambre de son hôtel : chanteuse improvisée, celle-ci passait de chambre vide en chambre vide sans qu’on la regarde, silhouette plutôt que visage sur qui, soudain, le temps, le cinéaste et Pavlovsky s’arrêtent. Irruption de la fiction, d’un second personnage plutôt émouvant, du motif de la rencontre (boy meets girl) et d’un romantisme sec mais délicat dans un récit peu propice, croyait-on, à les accueillir.
Les longs plans fixes, le montage en très précis ricochets (une sorte de "ligne claire" BD appliquée au court métrage), le 16 mm noir et blanc, l'épure de la mise en scène et le choix de filmer dans des décors pour la plupart vidés de leurs occupants habituels (hall d'aéroport, car de tourisme vide, chambre d'hôtel anonyme) octroient au film une patine atemporelle. Comme si à un personnage hors de tout devait correspondre un film hors du temps. Ceci est un leurre bien sûr. Klapisch expliquera lui-même, des années plus tard, en 2013, comme certains plans d’ensemble choisis pour ce film se retrouveront, sans qu’il en ait été conscient au moment de les tourner, dans Casse-tête chinois, son second opus new-yorkais. Leurre de l’atemporalité aussi tant quelques vues dévoilant au loin les tours du World Trade Center inscrivent ce premier film majeur dans un passé bel et bien révolu ; effet aussi puissamment mélancolique aujourd’hui que le spleen habitant Pavlovsky hier…
Stéphane Kahn
Réalisation et scénario : Cédric Klapisch. Image : Kevin Morrisey. Montage : Deborah Peretz. Son : Ben Woythaler et Elvire Lerner. Musique : Sandor Lakatos. Interprétation : Yuri Olchansky et Joan Ranquet. Production : New York University / Ce qui me meut.