"Il venait de Roumanie" de Jean-Baptiste Durand
C’est la vie d’un village, cet univers cloîtré qui fabrique des histoires, de l’ennui, des amitiés nécessaires, que l’auteur raconte. Au cours d’une journée, il dresse le portrait de feu Clément, sa chambre intacte et les vidéos qui restent de lui.
Des images brouillonnes, un son de caméscope : Jean-Baptiste Durand nous embarque tout de suite sur le terrain du souvenir. Drôle d’atmosphère que ces jeunes qui se challengent entre eux, boivent trop, fument et s’en vantent. Des images prises à la volée, sans grand intérêt, commentées par une voix, elle, bien ancrée dans le présent. Un doute affreux nous saisit, bientôt confirmé. Il n’a pas fallu grand-chose pour nous faire comprendre que Clément, l’un des adolescents sur ces images, ne boira plus jamais. “Avant sa mort” : ces mots prononcés à la légère tombent comme un couperet, ambivalence à l’image du film. De là démarre un récit de court métrage très bien construit, en trois temps qui nous mènent vers une inéluctable dispute.
Tout le sujet est là, dans ces quelques minutes d’introduction. Comment se souvenir de ceux qui nous ont quittés. Il y a deux écoles : ceux qui gardent le silence, se taisent, s’isolent ; ceux qui parlent de l’absent et continuent de le charrier. Deux couleurs, deux caractères, deux meilleurs amis qui étaient encore trois peu de temps auparavant. Damien, calme, souvent cadré seul, dans des plans presque immobiles, tout juste tremblant ; Yohan, volubile, dans des cadres mouvants, pleins de gens, de mouvements, de bruits. Le passage dans la voiture est révélateur de leur caractère buté : chacun dans un plan, compressé d’un côté par une portière, de l’autre par le bord du cadre ; et tout cet air qui ne sert rien, à droite du conducteur, à gauche du passager. Ce choix crée un malaise qui explose dans une dispute frontale entre deux mondes, mise en avant par le montage, les décors et les costumes. Sous ses airs de prises de vue réelles, ce premier court métrage du réalisateur cache une série de choix très réfléchis et efficaces.
C’est ainsi qu’il réussit à créer une ambiance radicalement différente lorsque les deux amis entrent chez les parents du défunt. Tendresse, chaleur, les couleurs reviennent sur les visages. Le soleil éclabousse les images grises du début, le rap s’éteint pour faire place au silence. Dans cette bulle frappée par la douleur, Jean-Baptiste Durand voit l’amour qui subsiste malgré tout chez les vivants. Ce qui compte, c’est que Yohan et Damien aiment Clément, chacun à sa manière. Il n’y a rien à départager, pas de solution à apporter. Juste la complexité des émotions humaines, la subjectivité de chacun. Certains ont besoin d’un temps pour s’habituer à l’absence, se remettre du rappel soudain de notre mortalité. D’autres ne peuvent pas s’en remettre sans remplir l’espace de bruit dans un effort désespéré pour que la vie continue.
Anne-Capucine Blot
France, 2014, 22 minutes.
Réalisation et scénario : Jean-Baptiste Durand. Image : Benoit Jaoul. Montage : Isabelle Bénet. Son et musique originale : Hugo Rossi. Interprétation : Johan Libéreau, Damien Jouillerot, Clément Chebli, Dominique Reymond, Pascal Miralles et Louise Blachère. Production : Insolence Productions et BarrHaus.


