Cahier critique 18/12/2019

"Il fait beau dans la plus belle ville du monde" de Valérie Donzelli

Avant Notre dame, une rencontre estivale dans la plus belle ville du monde...

Il faut bien plus qu’un ventre rond pour empêcher Adèle de rêver à tire-d’aile. Le premier court-métrage de Valérie Donzelli resplendit de cette liberté pétillante incarnée par son héroïne et se propageant autour d’elle comme une nuée bousculant joyeusement codes et attentes.

Liberté de ton, de genre, d’esthétique, de structure : le film semble en effet ne reconnaître aucun cadre susceptible de contenir sa course. Ici, le prosaïsme du quotidien d’Adèle, occupé par les repas qu’elle partage avec son jeune fils, la sieste et les tâches ménagères, côtoie ouvertement le lyrisme d’une correspondance gentiment galante portée par les sonorités désuètes d’un clavecin. Là, alors que le montage bée, les ellipses qu’il accueille accélèrent en réalité son cours et si l’image Super 8 a des nostalgies d’archives familiales, elle ne manque pourtant pas de rappeler de son éclat et de son grain si pictural la douce sensualité de quelques toiles de maîtres.

Fantasque, décalé, le solaire et tendre humour dont rayonne le film ne naît ainsi ni d’une quelconque tension, ni d’un contraste, mais bien de l’élan innocent que l’héroïne impulse à son environnement, réunissant de manière singulière et inattendue ces éléments a priori disparates et colorés qui composent sa vie – d’un même geste : le ventre rond, la candeur, la séduction. Classique et pop, intime et universelle, la forme est sans doute alors ce qui retient surtout l’attention lorsque, à la faveur d’un tournant surprenant au premier tiers du film, Valérie Donzelli y intègre sans plus de réserve la douce folie de son personnage.

Elle ne recourt dès lors plus au très académique montage en contrepoint par lequel elle ouvre son film, ni n’appuie outre mesure le second degré qui, tout autour, papillonne, léger, volatile ; elle épouse plutôt la cadence de son pas alors qu’elle descend la rue. Un pas assuré, conquérant, comme l’occasion d’une impulsion neuve à cette tendre fantaisie. Ce renoncement à un point de vue distancié nimbe alors d’une grâce et d’une fraîcheur peu communes ce badinage estival aux accents par ailleurs très Nouvelle Vague, puisque c’est le désir, d’abord, qui trouve ainsi voix avant le récit, tenu par ses causes et ses conséquences, apparaissant bien vite accessoires dans cette structure atypique.

L’attraction, vive, sensible, s’impose donc à la suite de ce renversement : qu’elle prenne corps dans un vertigineux panoramique circulaire rendant la tension entre les regards hagards de ces aspirants amants presque palpable, ou dans leur soudaine proximité physique provoquée par une prosaïque et néanmoins providentielle déjection de pigeon, sa manifestation formelle prend alors sans conteste le pas sur les rebondissements et les révélations qui sont ordinairement au centre de l’attention. L’inattendu ventre rond de la jeune femme comme l’incongru pull en cachemire dont s’est vêtu l’homme, quoique potentiellement foisonnants d’histoires et de trajectoires, sont alors comme désamorcés par l’intensité primitive offerte par la forme même.

La vibrante vitalité des corps plutôt que la fermeté des réactions causales : c’est l’aveu final, les lèvres tendues vers l’autre, bien au-delà des mots.

Claire Hamon

Réalisation et scénario : Valérie Donzelli. Image : Céline Bozon. Montage : Pauline Gaillard.
Son : Yolande Decarsin, Xavier Pirouelle, Antoine Goubin, Sébastien Savine et Laurent Gabiot.
Interprétation : Serge Bozon, Alice Gastaut et Valérie Donzelli. Production : Les Productions Balthazar.