Cahier critique 30/03/2018

“Iceberg” de Mathieu Z’graggen

Monsieur Elys travaille depuis vingt ans dans une patinoire où il a élu domicile. Il mène une vie sans but au volant de sa surfaceuse à glace. Jusqu’au jour où il se heurte à Brie, une gamine farouche et obstinée.Il va lui ouvrir les portes de la patinoire sans se douter des conséquences.

Film de patinoire, le retour. On peinerait à comptabiliser les films, courts et longs, qui, ces dernières années, surent trouver dans l’enceinte de la patinoire l’écrin de fictions ou de documentaires plus ou moins gracieux. On avait ainsi longuement écrit, déjà, sur Boucle piquéde Chloé Mahieu et Lila Pinell et sur Traversées d’Antoine Danis (Bref n° 113). Et on pourrait leur ajouter, côté courts, Le premier pas de Jonathan Comnène, Kiss Me Not d’Inès Loizillon ou le récent Off Ice de Pedro Collantes.

Iceberg, deuxième court de Mathieu Z’graggen (après le très réussi Think Big, Prix du jury au Festival Premiers plans d’Angers en 2015), se démarque de ces films en préférant le hockey sur glace au patinage artistique, et en s’attachant surtout au gardien des lieux plutôt qu’aux usagers de la patinoire. C’est l’occasion de retrouver dans le rôle principal Patrick d’Assumçao, devenu, depuis son émouvante prestation dans L’inconnu du lac d’Alain Guiraudie, un second rôle essentiel du cinéma français (dans un registre, entre massivité et sensibilité, proche de celui de Serge Riaboukine, il y a quelques années).

Un jour, schéma classique, l’ordinaire de monsieur Elys, homme solitaire et renfermé, est bouleversé par l’irruption dans son décor d’une jeune femme imprévisible. Avec elle, qui rode aux abords de la patinoire, c’est le film dans son entier qui s’ouvre à des champs inattendus, redistribuant des rôles que l’on pensait d'abord monolithiques (le directeur de la patinoire ; le magouilleur vendant de l’alcool en douce), redéfinissant sans cesse la nature des relations entre les personnages. En esquissant, par exemple, la possibilité d’une fêlure intime qu’il ne détaille pas (juste une photo dans la chambre de monsieur Elys pour la suggérer), mais qui pourrait expliquer pourquoi le gardien prend Brie sous son aile, le réalisateur contourne l’option sentimentale attendue (convenue ?) sans s’y soustraire totalement. Et c’est bien l’ambivalence de ce qui unit ses deux personnages principaux (amour ? relation filiale ?) – chacun trouvant en l'autre une providentielle bouée de sauvetage – qui enrichit le film d’une multiplicité de niveaux de lecture bienvenus.

Car si ce sont deux solitudes auquel le scénario offre de se rencontrer, deux blocs de glace émotionnelle qu’il entreprend de fissurer, c’est aussi, dans les contrechamps, tout le petit peuple de cette patinoire, qui, l’espace de scènes mi-tendres, mi-cruelles, se dessine comme potentielle matière d’un autre film. Pensons, là encore, au directeur et à son fils tête à claques ou au frère de l'héroïne. Il suffit de gratter, que se lézarde la surface, pour que se révèlent d'autres personnages, d'autres histoires peut-être. C'est, particulièrement, dans ce soin constant accordé aux seconds rôles et au moindre acteur qu'Iceberg s'extirpe d'un postulat de départ classique et de quelques scènes un peu faciles auxquelles il serait dommage de le réduire.

Stéphane Kahn

Réalisation et scénario : Mathieu Z’graggen. Image : Hervé Rosech. Montage: Jean-Christophe Pêcheur. Musique : Tristan Lepagney. Décors : Sylvain Cote-Colisson. Son : Mathieu Z’graggen, Jérémie Vernerey et Régis Diebold. Interprétation : Patrick d'Assumçao, Aurélia Poirier, Lionel Ueberschlag, Fayssal Benbahmed, Philippe Kao et Kevyn Diana. Production : Alpaga Films.