Cahier critique 19/06/2019

“Icare” de Nicolas Boucart

Magritte du meilleur court métrage de fiction 2019.

L’un des mérites d’Icare est d’offrir à Philippe Rebbot un rôle surprenant, très éloigné des emplois lunaires et extravertis dans lesquels il excelle et où, souvent, se dit-on, la tentation paraît forte, pour les cinéastes, de le cantonner.

Comme le laisse augurer le titre, il s’agit bien ici d’une histoire d’enfermement, d’envol et de chute. Pourtant, point de labyrinthe dans cette évocation du mythe éternel, mais l’isolement manifeste d’un personnage vivant en autarcie, mu par une obsession, une seule. S’il n’est jamais nommé dans le film, le générique de fin nous apprend que cet inventeur incarné par Philippe Rebbot s’appelle Léonard, partageant avec un peintre-ingénieur de renom le même prénom. On le sait, Léonard de Vinci fut obsédé par les machines volantes, esquissa nombre d’hypothèses pour faire voler l’homme, le cinéma hollywoodien en faisant même, en 1991, le cœur d’une comédie d’action aussi délicieuse que maudite (Hudson Hawk, de Michael Lehmann, avec Bruce Willis).

Le film de Nicolas Boucart déplace les fantasmes d’homme volant ébauchés par le génie italien dans un film d’époque où l’épure du décor et des costumes tient à distance une temporalité incertaine. La force du film vient ainsi de petites touches suggestives (les cicatrices de Léonard, sa boiterie), du détail apporté aux inventions et, surtout, de cet espace saisi entre terre et ciel, balayé par le vent et comme suspendu aux falaises. Point de village alentour, une simple cahute, aucune altérité : l’action se déroule sur une île, loin de tout. Dès lors, pas besoin de figurer un labyrinthe car les murs sont bien là, mais invisibles, mentaux plus que physiquement palpables.

De fait, l’île va vite devenir une prison pour Joseph, le jeune adolescent que Léonard y amène par barque dans les toutes premières minutes du film. Plus tard, Joseph dira clairement à un aîné mutique, assistant de l’inventeur et vrai prisonnier du film, vouloir s’en échapper, aller plus loin quand il s’envolera, ne jamais revenir à la ville : de fait, à ce moment-là – car le film joue crânement la carte du romanesque – la foi inébranlable de l’inventeur dans son projet fou a contaminé l’enfant tout autant que le spectateur. Toute l’habileté du cinéaste sera pourtant, dans un ultime mouvement, de nuancer cette candeur d’une cruauté qui, la fin tragique approchant, se fait jour peu à peu. Bien sûr, Joseph n’était pas le premier à s’abimer dans les flots. Bien sûr, l’obsession de Léonard croît sur son propre déni d’une irresponsabilité qu’il lui faut étouffer s’il veut continuer à nourrir son projet. Est-ce un rêveur, un fou, un criminel ? Le film ne tranche pas, Philippe Rebbot et Nicolas Boucart non plus, et on leur en sait gré.

Stéphane Kahn 

Réalisation et scénario : Nicolas Boucart. Image : Hichame Alaouie. Montage : Matyas Veress. Son : Nicolas Calvar, Aline Gavroy et Sarah Gouret. Musique originale : Manuel Roland. Interprétation : Philippe Rebbot, Maxime Bessonov et Albert Chassagne. Production : Offshore et Hélicotronc.