Cahier critique 28/06/2017

“How Much Rain to Make a Rainbow” de Alain Della Negra et Kaori Kinoshita

De la jungle mexicaine de ce court à la secte de Raël du long métrage Bonheur académie qui sort en salles, une seule question se pose : Comment faire pour être heureux ? 

How Much Rain to Make a Rainbow est le premier film de fiction de deux cinéastes qui se sont rencontrés au studio des arts contemporains du Fresnoy et n’ont cessé depuis de travailler ensemble. Écrit par Benoit Forgeard, qui fréquenta aussi le lieu, il fait suite à un triptyque autour des mondes virtuels entamé avec Neighborhood (en 2005), poursuivi avec Newborns (en 2007) et s’achevant en 2010 avec un premier long métrage, The Cat, the Reverend and the Slave.

Le nouveau monde dans lequel tentent de pénétrer les deux protagonistes de How Much Rain to Make a Rainbow n’est plus virtuel, mais il est tout aussi utopique que ceux jadis explorés à travers les Sims ou Second Life. Cette communauté hippie et résolument technophobe qu’ils investissent permet aux deux cinéastes d’explorer une toute autre mythologie que celle des geeks. Le film préfigure aussi, dans la démarche entre documentaire et fiction, l’expérience menée plus tard au sein de la secte raëlienne avec un deuxième long métrage, Bonheur académie, au générique duquel on retrouvera à nouveau Benoit Forgeard, devant la caméra cette fois.

Dans les deux films, la fiction se glisse dans les interstices d’un événement communautaire lui servant de point de départ et de décor. Mais contrairement à Bonheur académie, où quatre acteurs jouent une fine trame fictionnelle au cœur d’une réelle université d’été de Raël en Croatie, les cinéastes durent pour How Much Rain to Make a Rainbow reconstituer le rassemblement néo-hippie de la Rainbow Family, à Palenque, au Mexique, ce 21 décembre 2012, à la veille du dernier jour du calendrier maya. L’argent, l’alcool et surtout l’électricité ou l’électronique y étant interdits, Della Negra et Kinoshita n’eurent d’autre choix que de filmer à proximité en invitant à participer ceux qui le souhaitaient.

En résulte une fiction insolite, jamais moqueuse, où les chants tribaux, la nudité normalisée, les naïves mélodies folk et les ukulélés renvoient le reflet bienveillant d’un certain altermondialisme, à mille lieues par exemple du récent Problemos d’Éric Judor, lequel, sur un sujet proche, privilégiait satire, outrance et grimaces. Cette humeur apaisée tient sans doute au parti pris des réalisateurs de suivre dans cette découverte un personnage un rien lunaire tentant de se frayer un chemin dans un monde trop grand pour lui (les nombreux plans larges d’une jungle écrasante), où il n’a pas sa place (son frère combinard l’incite à tenter de vendre aux fidèles des substances illicites), mais dont il mesure soudain qu’il pourrait répondre à ses attentes.

Loin encore du trouble ambigu que distillera Bonheur académie, How Much Rain to Make a Rainbow se lit plutôt, quelques années après sa réalisation, comme une convaincante œuvre de transition.

Stéphane Kahn

Réalisation : Alain Della Negra et Kaori Kinoshita. Scénario : Benoît Forgeard. Image : Jean-Philippe Bouyer. Décors : James Della Negra. Montage : Minori Akimoto, Nicolas Boucher et Manlio Helena. Son : Félix Blume et Thomas Fourel. Musique : Clay Mazin. Interprétation : Marc-Antoine Vaugeois, Christian Martin, Ebru Caparti, Sophie Brassard et James Della Negra. Production : Capricci Films.