Cahier critique 30/11/2021

“Horacio” de Caroline Cherrier

Guillaume tue Horacio parce qu’il criait trop fort. Un fait divers tragi-comique comme on en lit parfois dans les journaux. Durant son procès, la pauvreté du mobile déconcerte. Maintenu en prison une dizaine d’années, Guillaume y oublie peu à peu cette histoire de type qui crie trop fort, qui ne convainc personne. Quand il sort, quelqu’un hurle à nouveau.

­C’est lors d’une journée ensoleillée, dans le jardin mitoyen, que Guillaume tue Horacio. On aperçoit le reflet des deux garçons qui se battent dans la piscine gonflable, avant qu’un coup mortel ne soit asséné. Le motif du meurtre est dérisoire  : “Il gueulait trop fort, et après, il ne gueulait plus…”. Comment fait-on pour interroger l’absurdité d’une action aussi lourde ? 

Le court métrage d’animation de Caroline Cherrier évoque dans ce fait divers “pathétique” le concept d’Hannah Arendt sur la banalité du mal. Celui-ci ne résiderait pas dans les figures extraordinaires, mais côtoierait au contraire les petites choses, les détails foncièrement médiocres. La suite du récit se déroule par vignettes, dans un centre de détention, et dépeint un cadre grisâtre, suintant. La voix-off nonchalante de cet anti-héros crée un décalage, comme le titre, Horacio, qui ne désigne pas le personnage principal que l’on suit, mais sa victime, absente de la narration. 

En milieu carcéral, tout n’est que passivité et oubli du monde. La dépossession de soi est amorcée (l’absence de sens, l’oubli du mobile du meurtre) par un procès expéditif ou par le biais de cette mère exubérante. On imagine volontiers les accointances avec la causticité du cinéma de Guiraudie ou au tragi-comique de Bruno Dumont dans cette peinture distanciée mais bien réelle de la violence. Cette vision insolite de l’animosité, d’une tempête qui sommeille, c’était aussi le sujet de Que dalle, le précédent film de Caroline Cherrier. Elle était envisagée comme un jeu par un groupe d’enfants oisifs préméditant une agression pleine de furie et d’ironie. 

Les couleurs vives et éclatantes du dessin (mêlant gouache et ordinateur 2D) dans Horacio contrebalancent la noirceur du propos. Le personnage s’apparente à un être ultra-sensible face à son environnement : les sons, les odeurs, les humeurs, tout semble s’animer sous ses yeux en forme de points noirs circonspects. Quand il touche les murs de la prison, ses sensations exacerbées se matérialisent par des fils rougeâtres gluants. Tuer quelqu’un, ça colle, ça crée une cage inextricable. À sa sortie de prison, “tout était magnifique” pour le jeune homme, faussement libre et qui observe les paysages se présentant à lui. Et tout devient pictural, d’un mégot de cigarette à une motte d’herbe qui s’échappe du béton. Comme des natures mortes, à l’image d’un esprit éteint s’apprêtant à rebasculer. 

William Le Personnic 

France, 2020, 10 minutes.
Réalisation et scénario : Caroline Cherrier. Image : Hugo de Faucompret. Montage : Stéphanie Sicard et Caroline Cherrier. Son : Mathieu Z'graggen et Régis Diebold. Musique originaleMarie CherrierInterprétation : Spider Zed, Patricia Marmoras, Nicolas Mossard, Sylvie Brucker, Hugo de Faucompret et Tristan Lepagney. Production : Ikki Films et Innervision.